Un monde sans avenir

De quoi aurait l’air un monde sans enfant, un monde sans avenir ? Le réalisateur d’origine mexicaine Alfonso Cuarón s’est intéressé à la question dans son film Children of Men qui célèbre ses 15 ans cette année. La BBC a classé ce film au 13e rang dans sa liste des meilleurs films du 21e siècle. Plongeons dans ce film qui va devenir un classique (ou l’est-il déjà ?)

Par Marc-Antoine Auger, journaliste collaborateur

Le film a été présenté en première à la Mostra de Venise au début du mois de septembre 2006. C’est une adaptation d’un roman du même nom publié en 1992 et écrit par une certaine P.D. James. L’histoire du film est située dans Londres de 2027, dans un monde où la population entière est infertile depuis un peu plus de 18 ans. Le film commence avec l’assassinat de la personne la plus jeune sur Terre. La population, profondément touchée par le décès, est ramenée à la réalité de leur monde infertile. L’intrigue est centrée autour de Theo Faron (Clive Owen), un être ordinaire et assez cynique qui devient le héros malgré lui. Dans sa jeunesse, il était militant, mais il a un peu perdu le goût après le décès son enfant qu’il avait avec Julian Taylor (Julianne Moore) à la suite d’une grippe devenue pandémique. Julian revient le voir bien des années plus tard pour lui proposer une mission, amener Kee (Clara-Hope Ashitey), une réfugiée, vers le « Human Project Ship », parce qu’elle est enceinte et qu’une guerre civile entre gens « pro-immigration » et « anti-immigration » frappe le Royaume-Uni. C’est la principale différence du film avec le roman : le film est adapté à une réalité plus proche de la nôtre. Dans ce contexte, c’est particulièrement puissant que la première femme à être enceinte en 18 ans soit une femme noire africaine, réfugiée et recherchée par la police, de surcroît.

Moins d’enfants

Je ne peux pas m’empêcher de faire un petit parallèle entre ce film et la COP 24, une conférence qui se réunit chaque année pour discuter et adopter des mesures environnementales pour l’avenir. À la COP 24, en 2018, une idée pour réduire l’empreinte écologique de la population est ressortie : faire moins d’enfants. Il s’agit d’une idée qui ne fait évidemment pas que des heureux, cependant, il est indéniable que la croissance démographique est un problème qui empire avec les années. De plus en plus de gens font le choix conscient de ne pas faire d’enfant, même s’ils en veulent, et qu’en conséquence, le processus d’adoption devrait être simplifié. Évidemment, je ne suis pas en train de dire qu’on devrait arrêter de faire des enfants, point barre, à quoi ça servirait à ce moment-là de vouloir bâtir un meilleur avenir s’il n’y a plus personne. Le scénario du film Children of Men est loin d’être idéal, on a affaire à un monde dystopique.

En faisant des petites recherches, je suis tombé sur le témoignage d’une Française qui ne se considère pas comme une militante, mais qui a tout de même décidé de ne pas faire d’enfant pour réduire son empreinte écologique et y aller d’un geste militant à sa mesure. Elle rencontre plusieurs femmes qui ont les mêmes préoccupations, qui décident même de faire un enterrement de vie de mère. Deux raisons expliquent son choix. La première, c’est qu’effectivement une bouche de plus à nourrir est responsable d’une empreinte écologique de plus sur la Terre. La deuxième, c’est qu’elle ne se voit pas mettre un enfant sur Terre dans le contexte trouble qui est le nôtre. Cet enfant, dans le futur, souffrira probablement d’un manque d’eau, verra des maladies proliférer, verra de plus en plus de réfugiés climatiques dans un monde populiste, résultat des catastrophes environnementales qui seront de plus en plus nombreuses. Ce témoignage que j’ai lu date de décembre 2018, il est donc paru pendant la COP 24 qui se déroulait du 2 au 14 décembre de cette année-là. On voyait déjà les conséquences à ce moment-là, et depuis le tout premier cas de COVID-19 en Chine un an plus tard, c’est encore plus vrai. Assez incroyable. Dans un contexte pareil, honnêtement, je comprends les gens qui ne veulent plus d’enfant.

En regardant Children of Men, ce scénario est poussé à l’extrême, et il nous fait réaliser de manière assez frontale qu’il est loin d’être souhaitable lui aussi. C’est selon moi l’une des principales forces du film, son aspect assez avant-gardiste je dirais, un film qui devient de plus en plus pertinent au fur et à mesure que le temps passe.

L’environnement

Une chose que l’on remarque dans Children of Men, c’est qu’il ne fait jamais soleil, ce qui amplifie l’idée d’un monde déprimant, lourd, où il ne fait pas du tout bon vivre. C’est, je crois, la différence principale entre cette dystopie et le monde dans lequel on vit. Certains pays comme la Chine ont de graves problèmes de smog, ce qui rend le soleil plus opaque, plus distant, mais il fait néanmoins plus « clair », il ne fait pas « gris-bleu » comme dans le film. J’ai l’impression que dans le futur, il va faire de plus en plus soleil, ce qui est un peu traître je dirais, les températures sont déjà plus élevées l’été, il pleut moins souvent et plus intensément à chaque fois.

Le Royaume-Uni est aux prises avec un problème d’immigration dans le film, mais il n’est jamais dit pourquoi les réfugiés se tournent en si grand nombre vers les Britanniques. Seraient-ce des réfugiés climatiques, des gens qui fuient une autre guerre? Ce n’est jamais nommé et ce n’est pas nécessairement un défaut, ça laisse planer un mystère, ça permet au public de se poser des questions, de discuter, de débattre. Pourquoi l’Angleterre au début du film se targue d’avoir réussi en matière d’immigration? Ce qu’on voit ne donne pourtant pas à rêver, mais les réfugiés continuent tout de même d’affluer vers le pays. Le film est sorti dix ans avant le Brexit. En ce sens, c’est définitivement un film qui gagne à être revu, parce qu’on peut y voir énormément de choses. J’ai vu le film deux fois et je n’ai pleuré qu’une fois en le regardant, et c’était en le revoyant.

C’est un film qui est dur, pas trop joyeux, mais qui est définitivement un incontournable. Le film propose une réflexion assez profonde sur tout un tas de sujets, et le film a gagné en pertinence depuis le Brexit, depuis la COP 24, et depuis la pandémie. Je ne recommanderai jamais assez ce film qui est un chef-d’œuvre tant pour son histoire que pour son aspect technique.

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