Photo par Briana Tozour

Bourdon Odéon

Par William Pépin, journaliste collaborateur

Le nouvel appartement de Jonathan possédait deux pièces ; une salle d’eau et un amphithéâtre de vingt mille places. Trente années s’étaient écoulées depuis sa naissance et trente autres s’écoulèrent suite à son déménagement, au coin de deux rues sans nom. Devenu vieil homme, il passait ses journéessemaines-mois-années assis à la première rangée de l’hémicycle d’où il pouvait aisément visionner le même film en boucle-et-en-boucle-et-en-boucle-et-en-boucle.

Jonathan ne ressentait plus la faim depuis des décennies, ni la soif, ni la fatigue, ni quoi que ce soit qui ait pu le faire lever de son siège. L’éternelle pellicule qui déroulait ses millions d’images d’un doux-noir-etblanc-multicolore lui servait de soluté, égouttant en son cœur mille et un souvenirs. Ce devait être la trente-quatre millième fois qu’il assistait à la scène de son neuvième Noël. D’ici quelques minutes, ce serait la trente-quatre millième fois qu’il assisterait à la naissance de son premier amour, le réalisateur du film de sa vie prenant bien soin de couper la scène où la relation prenait fin.

Trente années passèrent, puis trente autres, puis trente autres, puis-trente-autres. Jonathan avait désormais cent quatre-vingts ans et des poussières. Sa longue barbe blanchâtre faisant sept fois le tour de l’amphithéâtre, il observait toujours avec la même avidité cette jeune vie trop courte. Ce que le jeune-homme-devenu-vieux ignorait, cependant, c’était que d’autres l’avaient rejoint dans l’amphithéâtre sans qu’il s’en aperçoive. L’abondance de films jouait sans fin sous leurs yeux fiévreux, assoiffés.

Vingt mille sièges, mille et une âmes, une salle d’eau.

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