Par Myriam Coté, journaliste collaboratrice
Au centre dur du corps quelque chose de sec. Chaque fois que l’hiver entre en lumière par les fenêtres, un grand craquement: je voudrais cette soupe chaude ou ce chocolat au lait, je voudrais les pantalons de neige, le traîneau en bois. Je voudrais mon père dans sa jeunesse encore, ses jambes longues de patinoire. Ses jambes qui ne titubent pas.
L’enfance me manque depuis que je ne peux plus y être. Elle s’organise en bibelots ou en cloches de verre, ces paysages enneigés qu’on garde sur la table de chevet. J’y souris parce que c’était simple et que je ne savais pas. Je me baume, me badigeonne de lieux où la mort n’existe pas.
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Mes vingt-six ans, pourtant, ne m’ont pas fait mal. C’était un anniversaire doux, joyeux dans son automne. Seulement : j’aimerais être petite encore et qu’on me fasse attention comme à ces choses fragiles et claires qu’on ne déplace jamais que du bout des doigts.
Si j’ai envie de pleurer c’est comme d’autres ont mal à la tête; c’est parce que le temps passe, que le temps pèse. C’est parce que je voudrais que personne ne meure et que dehors.
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J’avais déjà pensé la mort avant. Très tôt on m’a appris à le faire : les cauchemars parlaient de cercueils, me ramenaient au sol inégal des cimetières. Aux oncles qu’on y enterrait au dégel.
Dans le grand album que ma mère sortait aux Fêtes, ces visages que je ne reconnaissais pas et cette photographie de salon mortuaire où elle portait des gants.
J’avais déjà pensé la mort avant, mais elle se pense à un autre endroit maintenant. L’époque est à une mort qui surveille, qui rappelle à nos lubies nos faiblesses et notre durée, les points de son parcours. Au centre dur du corps désormais ma vulnérabilité et la leur, le plus-grand-que-soi qui absorbe, ces éclipses violentes qu’on ne regarde pas en face.
Depuis plusieurs mois déjà je parle la langue des éclipses et des choses qu’on ne regarde pas en face. Alors l’enfance, oui, sa douceur sous les paupières même si lentement, inévitablement elle m’échappe.
Hier au coucher j’ai voulu penser les bras de ma mère et je ne me suis pas souvenu.