Alors que la Chine est frappée de plein fouet par le coronavirus et que le monde se prépare à une éventuelle pandémie, il serait intéressant de voir si ce scénario ne s’est pas déjà produit dans la ville de Québec. En effet, la Vieille Capitale a déjà connu son lot d’épidémies.
Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur
Avant le 20e siècle, le principal moyen de transport outre-mer, pour les voyageurs comme pour la marchandise, était le bateau. L’environnement idéal pour la propagation de maladies de toutes sortes. Non seulement par la proximité des passagers et matelots sur de longues périodes, parfois jusqu’à 40 jours pour traverser l’Atlantique, mais aussi par les conditions d’hygiène des plus rudimentaires, quand il y en avait. Les normes sanitaires internationales pour les produits importés étaient encore inexistantes ou simplement non appliquées. La ville ne présentait aucune démarche concrète sur les méthodes à adopter en cas de contamination de l’équipage. Cette lacune, d’ailleurs, mènera les autorités des différentes époques à sous-estimer le danger des virus ou bactéries qui larguaient les amarres en même temps que leur navire hôte.
Avant l’établissement d’une quarantaine sur la Grosse Île en 1832, tous les malades étaient conduits à l’Hôtel-Dieu de Québec. L’hôpital, construit en 1639, était souvent bondé au point qu’il devait louer des maisons dans le centre-ville, atteignant ainsi directement la population. Souvent, les équipes de soins médicaux, pour la plupart des religieuses, étaient frappées par la maladie, rendant du même coup, les gardes-malades de nuit difficiles à trouver.
Virus et bactéries sont aussi du voyage
Dès 1639, ‒ rappelons que Québec fût fondée en 1608 ‒ la ville est frappée d’une épidémie de variole. Les plus affligés sont les nations huronne-wendat. Jusque la moitié de leur population aurait été exterminée par cette épidémie. La variole refait surface à de nombreuses reprises par la suite et frappera aussi les colons.
En 1659, c’est au tour du typhus de faire son entrée dans la ville. Il est arrivé à Québec par l’entremise du navire le Saint-André, parti de France quelque semaines plus tôt. Le typhus est une bactérie qui se transmet principalement par les poux. Ces derniers sont d’autant plus prolifiques dans les endroits clos à forte densité humaine et où la proximité est optimale par la situation exiguë qu’impose la vie quotidienne sur un navire.
Dans son entièreté, le 17e siècle sera marqué par la variole. Chaque décennie se verra marquée par une épidémie de cette maladie, voire même deux, et pour chacune d’elles, le virus pouvait perdurer dans la population pendant un à trois ans avant d’être éradiqué. C’est d’ailleurs ce qui mènera aux premières lois en matière sanitaire, comme celle qui interdit les résidents de la basse-ville de jeter leurs eaux usées par la fenêtre. Un tombereau passera ainsi à chaque semaine, en guise de fosse sceptique, à partir du printemps.
En 1700, une épidémie de grippe, dite « la grippe maligne », a frappé la ville. De nombreux décès sont rapportés, surtout au sein de la population âgée. Il semblerait qu’il s’agisse d’un virus saisonnier, n’ayant aucun lien avec l’insalubrité et les conditions de transport de l’époque. Entre temps, la variole continuait de faire quelques apparitions, si bien qu’en 1706, il était désormais interdit de vendre de la viande provenant d’animaux malades.
En 1709, c’est la fièvre jaune qui s’installait. Aussi appelée le « mal de Siam », elle était surtout propagée par des piqûres de moustiques en Afrique, ainsi qu’en Amérique du Sud, et elle est fort probablement arrivée par navire comme pour les autres pathogènes. Fait surprenant, malgré l’existence d’un vaccin très efficace, encore aujourd’hui entre 30 000 et 60 000 personnes meurent chaque année sur ces deux continents.
En 1721, pour empêcher que la peste qui sévissait à Marseille ne s’introduise dans la colonie, une ordonnance interdisait à tout le personnel d’un navire de descendre tant que la maladie ne fût pas complètement disparue. Plus tard dans l’année, c’est l’ensemble des bateaux provenant de la Méditerranée qui durent faire un arrêt à l’Île-aux-Coudres et signaler leur arrivée. Il leur était interdit de descendre sur le rivage par quelque moyen que ce soit. Le reste du 18 e siècle fut surtout affligé par le typhus et, bien sûr, la variole.
La célèbre Grosse Île
Au cours des premières décennies du 19e siècle, le choléra apparaît en Amérique suivant la deuxième pandémie mondiale de cette bactérie. Pour pallier les conséquences d’une pandémie, les instances gouvernementales du Bas-Canada ont établi des règles de quarantaine très strictes. Pour ce faire, un lieu était nécessaire pour accueillir les immigrants, et pour mieux contrôler les navires qui arrivaient par le Saint-Laurent. Eh bien un tel endroit existait déjà à la Pointe-Lévy! Cependant, devant l’ampleur de la pandémie, il fut estimé que ce lieu était trop près de la ville de Québec et, par conséquent, le risque de propagation était trop grand. On établit donc un point de contrôle sur la Grosse Île.
1847, l’année noire
À la suite des grandes épidémies du 19e siècle, en 1847, 5 000 personnes sont décédées sur la Grosse Île. Une grande partie de ces morts étaient des Irlandais qui avaient fui la grande famine qui frappait l’Irlande. Ils mouraient à même les bateaux qui faisaient la file pour, enfin, réussir à débarquer leurs malades. Durant cette période, le typhus sévissait beaucoup sur les navires. Plusieurs personnes sur l’île tombèrent malades par acte de bonté. En effet, la population, voulant apporter matériaux, nourriture et aide médicale, se retrouvait elle aussi contaminée et placée sur l’île.
Le 20e siècle et la Première Guerre mondiale
Le choléra fut responsable des plus grandes épidémies du 19e siècle. Cependant, le 20e a commencé de manière très abrupte. Avec la Première Guerre mondiale qui faisait rage dans le monde de 1914 à 1918, les conditions sanitaires se dégradèrent considérablement. Les soldats se retrouvaient souvent entassés les uns sur les autres dans des tranchées et cohabitaient avec les rats. Dans ces conditions, le virus de la grippe espagnole, ou selon sa formule bien connue H1N1, se frayait un chemin des États-unis ou des pays asiatiques —
selon les sources —, et contamina à vitesse « grand V » la population des pays belligérants, avant-tout. À leur retour, les soldats amenèrent un supplément avec eux. La pandémie allait tuer entre 50 et 100 millions de personnes à travers le monde. Pour l’époque, on parle de trois à cinq pour cent de la population mondiale. Il s’agirait de la pandémie la plus meurtrière de l’histoire de l’humanité, devançant même la peste noire.
Par la suite, des normes sanitaires internationales furent instaurées. La médecine fit un pas de géant au niveau de la vaccination, mais surtout dans la gestion de telles contagions autour du monde. À la suite de ces progrès, à Québec, la Grosse Île perdit sa vocation et l’établissement de quarantaine qu’elle abritait ferma ses portes en 1937.