Par un bel après-midi de mars, le mercure a atteint 17 degrés. Certain.e.s ont senti naître l’espoir d’une fin d’hiver hâtive. D’autres, comme moi, y ont vu le signe de faire ses au revoir à un vieil ami. J’aime l’hiver et je me désole chaque printemps de voir fondre la neige. Quand la Maison Stark de la célèbre série Le Trône de fer affirmait après plusieurs années d’été que « l’hiver vient », elle faisait allusion à la neige et au froid. Or, les changements climatiques modifient la durée des saisons, rendant leur existence telle que nous la connaissons précaire. Au cours des prochaines décennies, l’hiver s’en ira.
Par Marilou Fortin-Guay, journaliste collaboratrice
Je ne me souviens pas avoir commencé à aimer l’hiver. Cela a toujours été. Il n’existe pas de raison universelle d’aimer une saison, mais vivre au 47e parallèle demande de s’approprier la saison blanche pour ne pas la trouver si longue, ni vivre dans l’attente des températures plus chaudes.
Les saisons sont rythmées par le mouvement de la Terre et son inclinaison par rapport au Soleil. À échelle humaine, elles constituent un lien nous unissant plus largement au monde naturel. Elles arrosent les champs, gonflent les rivières, règlent le cycle de croissance des plantes, font migrer les outardes et viennent à bout des moustiques.
En modifiant l’espace, les saisons nous proposent de vivre autrement. Plus d’obscurité, moins de couleurs et un froid incisif nous incitent à vivre autrement en hiver qu’en été. L’odeur de gazon fraîchement coupé, la texture de la neige fondante au centre-ville et le bruit des feuilles qui tapissent un sentier modifient notre expérience du temps et des lieux. Qu’on les apprécie ou qu’on attende qu’elles passent, les saisons donnent une teinte particulière aux gestes du quotidien et à nos habitudes.
L’alternance des saisons est rassurante. Elle nous rappelle que, dans la vie, tout passe et que quelque chose finit par revenir.
Les hivers nous fuiront
Dès la mi-mars, des stations de ski de l’Estrie ont annoncé leur fermeture due à la pluie. Ces épisodes de précipitations sont des désastres pour les skieur.se.s en raison de la fonte qu’elles génèrent. L’hiver avait déjà tardé à commencer, ce qui nous avait laissé un mois de novembre terne et frisquet. Une étude sur les stations de ski des Cantons-de-l’Est rapporte une diminution de 32 % de la durée de la saison à l’horizon 2040-2070, par rapport à la période allant de 1998 à 2008 avec 94 jours d’opération en moyenne. De manière générale, les conditions hivernales des dernières années ont été marquées par une augmentation de la fréquence de redoux, de pluie et une arrivée tardive du froid et des premières neiges.
Une étude parue dans la revue Geophysical Research Letters révélait que, depuis 1952, les étés se font plus longs et les hivers plus courts. Plus précisément, l’été est passé de 78 à 95 jours alors que l’hiver s’est réduit de 76 à 73 jours entre 1952 et 2011. Quant au printemps et à l’automne, ils sont tous les deux plus courts. D’ici 2100, l’hiver dans l’hémisphère nord ne durera pas plus de deux mois. L’été s’étendra sur six. Selon les chercheur.se.s, ces changements dans les proportions des saisons sont en grande partie attribuables aux changements climatiques.
Les détracteur.rice.s de l’hiver y verront peut-être une raison de se réjouir. Toutefois, on ne peut ignorer le constat troublant que, au cours des prochaines décennies, les hivers vont disparaître. Quelle sera alors la place de la neige sur une planète de plus en plus chaude?
Que retenir de la pluie en hiver?
La périodicité des saisons offre un semblant d’ordre et de régularité. C’est à travers l’enchaînement prévisible des saisons que nous avons la certitude qu’elles reviendront. Été, automne, hiver, printemps, été, automne hiver… Jusqu’au jour où la pluie s’impose en hiver, que l’on se sente comme à l’automne en janvier et que la canicule nous étouffe dans nos 4 et demi en septembre. Si l’été n’a plus le monopole du chaud, que les tempêtes de neige ne font plus fermer les écoles, la familiarité des saisons laissera-t-elle place à l’imprévisible et à la surprise?
Scruter le rythme changeant des saisons montre la fragilité de nos écosystèmes. Si l’on ne voit pas les conséquences futures de nos modes de vie sur notre environnement, on vit aujourd’hui la canicule, les brasiers, les inondations et les Noëls verts. À bien y penser, les changements climatiques ne sont plus si abstraits.
En regardant mon voisin pelleter son banc de neige pour mettre l’hiver à la porte, je me dis que j’aimerai toujours cette saison. Je comprends naturellement que les saisons sont par définition temporaires, qu’elles contiennent en elles l’idée d’un cycle et celle d’un début et d’une fin.
Oui, le départ de l’hiver m’attriste.
En revanche, ce qui m’occupe l’esprit n’est pas le deuil d’une saison, mais bien l’angoisse de ne pas la voir revenir. Après tout, la résilience a ses limites dans un monde incertain.
Références
Da Silva, L., Desrochers, F.-A., Pineault, K., Gosselin, C.-A., Grenier, P. et Larose, G. (2019). Analyse économique des mesures d’adaptation aux changements climatiques appliquée au secteur du ski alpin au Québec. Ouranos, Montréal, 119 pages.
Wang, J., Guan, Y., Wu, L., Guan, X., Cai, W., Huang, J., et al. (2021). Changing lengths of the four seasons by global warming. Geophysical Research Letters, 48, e2020GL091753.
Crédits photo : ACE Newsphoto / C. N. R. par René Lefebvre