Shana Paquette, autrice
En fait, les murs que je m’étais construits sont des rideaux.
Tu te souviens, tu es arrivée en riant dans le salon et tu m’as demandé si j’allais bien – on ne se le demande jamais assez. La nuit avait été pour le moins rocambolesque et je vivais le paroxysme de cette fin d’année. Certains s’endormaient sur le divan, d’autres étaient étendus sur le tapis et discutaient. J’observais la scène comme une caméra capte les souvenirs. Je m’appliquais à m’imprégner de chaque jeu de lumière, de l’odeur légère de sueur, d’alcool et de cire fondue, des voix tapies dans les surfaces feutrées. Puis tu es apparue.
Je n’ai pas cessé d’être une caméra. J’immortalisais les plis se creusant autour de ton nez, la couleur de tes sourcils, la vitesse à laquelle tu fermais tes paupières.
Avais-tu déjà envie, à ce moment, qu’on s’embrasse ?
Moi, je n’avais rien prévu. Nos têtes en caresse, nos nez qui s’entrechoquaient. Je sentais l’hésitation en moi, précisément où se joignaient nos fronts. Une fille. Une amie. Ce n’est pas supposé. Ce n’est pas comme ça. Mais ma raison se diluait dans le velours grandissant en mon ventre. De mon plexus solaire naissaient des encyclies de confiance. Les ondes imbibaient la rigidité de mon esprit, lui incitaient sans malice de se taire ou de lâcher-prise. Puis nos lèvres se sont trouvées.
Un peu naïvement, j’imaginais que la bouche d’une femme ne ressemblait pas à celle d’un homme. Fossé illusoire d’une même frontière. De ce compartimentage est né l’interdit féminin, le cloisonnement d’une complicité qui me serait restée inconnue si tu n’étais pas entrée à ce moment précis dans la pièce. Car c’est là toute la puissance de notre baiser : un enchaînement imprévisible de détails, une séquence instinctive d’envies. Tu n’étais plus telle que je t’avais définie. Tu ne portais plus les filtres que je t’avais appliqués. Tu étais, et cela suffisait.
Sur ta langue, j’ai goûté l’exaltation d’un monde à découvrir et la surprise de la similitude. Par ton étreinte, j’ai bercé une nouvelle part de ma vulnérabilité. Comme si on avait versé de l’eau chaude dans le sol de mon bas-ventre. Dilatation à la fois fragile et grandiose. Un bourgeon, un si petit bourgeon, mais déjà résilient et magnifique. L’apaisement d’une angoisse dont je ne connaissais même pas l’existence — et dont je ne vivrai finalement que la dissolution. Une tendresse, toute féminine, bruissant dans mon système nerveux. Je sais que tu n’aimes pas lorsqu’on associe femmes et douceur, qu’elles sont beaucoup plus que cela, et tu as raison : elles sont délivrance.