Création littéraire : Dans notre nuit

Par L. Bigòrra

Nous sommes anesthésiées par l’idée que la chose peut se produire, qu’un amour peut naître dans une nuit poisseuse de l’été-fin-du-monde. Toute la vie que nous y croisons porte malgré elle, la beauté d’un crime à exiger.

Le JE les bande – les garçons improbables – dans son slip quand il tire avide sur un bout de clope triste, assis seul sur un banc, seul comme une proie, seul comme un loup.

Cette famine, elle pourrait avaler tous les hommes de Stalingrad jusqu’à la Villette. JE est un bagnard évadé d’une éternité en désert.

Ici est un territoire difficile, un territoire qui ne veut pas de nous, petits monstres ridicules, volontaires et tenaces. C’est toujours ces nuits-là que nos paupières se dissolvent et on croit qu’on pleure.

Et la mer qui scintille sur le canal.

Y’a ces solitudes, elles sont dures avec leurs triques d’un autre siècle. Elles nous obligent à garder le menton haut et le regard franc malgré les bières à 8 degrés.

Y a ces nuits où croire relève d’un effort plus grand. Et il y a ces nuits où, quand nous abandonnons presque, le démon s’avance vers nous pour insuffler cet oxygène, mélange de peur et de foutre. Parce que nous savons son absence future, nous le chérissons.

Nous sommes le bas-fond. Nous appelons les hommes solitaires et vaincus pour les entourer de notre chaleur. Et nous persévérons malgré leur haine de la folle, de la pédale qui voudraient susurrer des mots-miels le long des nuques-crasses. Nous persévérons toujours dans la recherche de nos camarades. Ce nous est un rêve.

Nous nous rêvons meutes.

Le JE ne cherche pas à sourire. Le sourire pue la séduction, pare le visage de fleurs et laisse froid l’homme-voleur à la trique malsaine. Nous devons fixer l’homme croisé, l’homme provoqué comme le bourreau à qui on s’abandonne dans l’effroi de la douleur ou de la fin définitive de la douleur.

Nous avons peur du rien et pas du coup de poing. Nous faisons fuir avec notre immense faim. Nos désirs, une arme sans chien ni gâchette.

L’homme-voleur ne peut pas nous aimer. De sa haine, nous devons lire une déclaration d’amour.

Contre notre arrogance, le voleur-violeur-gicleur doit imposer sa virilité. S’il se défilait, il serait la tarlouze.

Lui comme nous connaissons les lieux de la paix et du plaisir. Nous comme eux masquons la pauvreté pour inventer des palais mythiques.

Ce n’est qu’un buisson pour le monde mais pour nous c’est Brocéliande. Écrasé entre le début du canal St Denis et des restes d’équarrissages en plaza, des mouchoirs froissés, des bouteilles cassées y fleurissent de terre. Des bouts de matelas-mousse en déclaration d’accueil.

On n’est pas caché dans cette forêt mais personne ne peut nous apercevoir.

C’est trop sale. Trop puant. Sperme et crachats sont rois.

Et c’est ici que l’amour quitte leurs corps pour finir dans nos bouches et nos récits.

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