Actrices populaires, les princesses Disney ont été les premiers modèles féminins que la plupart des jeunes filles et des jeunes hommes ont observés à l’extérieur des femmes avoisinantes (mère, enseignantes, tantes, etc.) Pourtant, l’image que les princesses projette de la liberté sexuelle et de la liberté du corps de la femme est loin de l’actualité. Ce qui dérange autant, c’est que les princesses sont représentées comme des corps, et non comme des femmes ayant une vision et une opinion. Nous n’avons qu’à penser à la percutante chanson Silence chantée par Naomi Scott dans la nouvelle version d’Aladdin sorti en 2019.
Par Léonie Faucher, rédactrice en chef
Le pythagore de la princesse
Parlons des princesses de Disney classiques, qu’ont en commun Blanche-Neige, Cendrillon, Aurore, Ariel, Belle, Jasmine, Pocahontas et Raiponce? (Je compte Raiponce dans cette catégorie même si le film est sorti dans la vague des princesses nouveaux genres de Disney, car la trame narrative s’apparente plus aux contes classiques)
- Orpheline. Que ce soit un ou deux parents décédés, un enlèvement à la famille biologique, dans tous les cas, la vie familiale n’est pas paisible.
- Absence de pouvoir d’action. La princesse ordinaire ne prend pas ses décisions et ne se sauve pas elle-même. Un.e intermédiaire (homme ou marraine) intervient.
- Prisonnière d’un destin. La princesse est enfermée, que ce soit dans une tour ou dans un mariage arrangé. Les stéréotypes emprisonnent son destin.
Par exemple, Blanche-Neige, qui est la première princesse Disney à naître sur les écrans, n’a pas de pouvoir d’action. Ce sont les nains qui la sauvent des stratégies de la méchante Reine, alors que chaque fois la princesse tombe dans le panneau (la balade avec le chasseur, les pommes, etc.). Orpheline de sa mère, elle se confronte à une bellemère qui désire la tuer. Finalement, elle est prisonnière de son destin, car elle doit se cacher dans la forêt pour survivre et elle doit marier le prince qui la sauve.
Par la suite, Jasmine, sixième princesse Disney, est la première à ne pas être le personnage principal de son histoire et la première à ne pas être d’origine européenne. Elle est soumise aux décisions de son père, le roi, qui la prépare à devenir l’épouse du prochain roi. Son père lui interdit de sortir du château pour la protéger depuis la mort de sa mère. Finalement, elle marie un homme qui lui est imposé, Aladdin ou prince Ali. Au moins, elle l’apprécie déjà avant le mariage.
What’s wrong ? La sexualité prédéterminée
Les films présentent des personnages avec un parcours amoureux et sexuel prédéfini par leur fonction de princesse (elles doivent marier un prince), même si certains films contournent le concept. Ainsi, Jasmine marie le roi des voleurs, mais celui-ci a dû avoir l’aide d’un génie, de pouvoirs magiques et prendre l’apparence d’un prince pour prétendre être suffisamment bien pour marier une princesse.
Le problème avec les princesses Disney, c’est l’absence de représentation des variétés des parcours amoureux. Les princesses sont jumelées à un partenaire, souvent prédéterminé. Aussi, peu de représentation de relation multiethnique et aucune relation associée à la communauté LGBTQ figurent dans le palmarès des couples princiers. Bref, les relations sexuelles et amoureuses qui sont différentes de la norme sont sous-représentées ou absentes.
Et si elles sont représentées, elles ne possèdent pas la fin « heureux pour toujours » à la Disney. Par exemple, Pocahontas, septième princesse de Disney et première princesse d’Amérique, est amoureuse de John Smith, un conquérant blanc d’Europe.
Première potentielle relation interculturelle, celle-ci ne dure pas très longtemps. Pocahontas est séparé de l’homme blessé par balle qui retourne en Europe pour se faire soigner.
Complémentairement à cette analyse, son père, chef Powhatan, n’accepte pas la relation avec l’homme blanc. Ce couple ne pouvait donc pas s’unir, car ce n’est pas l’homme que le père a choisi pour sa fille. (Même si dans Pocahontas 2, c’est l’Amérindienne qui se rend compte que Smith ne partage pas ses valeurs, ne nous fions qu’au premier film de chaque franchise.)
Le pèlerinage du pardon
Dans les années 2000, Disney poursuit ses longs métrages autour des contes de fées, mais en donnant plus de pouvoir d’action aux nouvelles princesses et en élargissant les trames narratives. Cette nouvelle génération de princesses permet un rattrapage des valeurs féministes bafouées avec les anciennes princesses.
Ainsi, Mulan, Tiana, Raiponce, Mérida, Elsa et Moana voient le jour. Des femmes avec un pouvoir d’action sur leur destin agissent comme des guerrières dans un monde qui les restreint. Elles sont maîtres de leurs actions et leurs décisions ne conduisent pas toujours à des échecs ; elles peuvent réussir leurs entreprises solos.
Par exemple, Mulan, la huitième princesse, est la première à appartenir à ce nouveau genre. Véritable guerrière, ses actions mènent à la victoire de la Chine sur leurs ennemis, en plus de protéger son père. L’histoire d’amour prend moins de place dans cette trame narrative et n’apparaît que vers la fin. D’ailleurs, Mulan se travestit pour participer à la guerre, elle n’est pas une princesse, ne se marie pas avec un prince, mais aime un général de l’armée. Beaucoup de changements qui donnent plus de pouvoirs à la femme.
Un autre exemple, Elsa, la reine des neiges, dirige le royaume d’Arendelle seule, ce qui lui confère une position, un pouvoir, que Jasmine d’Aladdin aurait aimé avoir aussi, mais son père ne croyait pas qu’une femme pouvait régner sur un royaume. Elsa est célibataire, elle est loin des histoires d’amour obligé. D’ailleurs, une critique de l’amoureux imposé est même glissée lorsque Anna, sa sœur, veut se marier après une chanson en duo avec Hans. Elle a ses propres aventures, ses pouvoirs, ses décisions, bref, elle est indépendante. Comme elle le chante si bien, elle est libérée et délivrée.
Petit bémol par contre, cette émancipation lui vaut l’exclusion sociale, car son pouvoir est trop grand pour qu’elle puisse le contrôler. Message caché qu’il ne faut pas donner trop de pouvoir aux femmes ou raccourci scénaristique, c’est selon l’interprétation.
Raiponce, dans quelle catégorie ? Je reviens sur le cas de Raiponce qui appartient à la nouvelle vague de princesses. Néanmoins, elle semble flotter entre les deux univers. Elle est ni affirmée ni opprimée. En apparence, elle se sert d’Eugène (le voleur) pour s’enfuir de la tour et aller voir les lanternes ; elle a un certain contrôle. Cependant, lors des péripéties où elle sauve son guide forcé, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle fait, puisqu’elle ne connaît pas le vrai monde. Ainsi, lors de la scène du bar, c’est strictement par chance qu’elle tombe sur des machos qui aiment secrètement les licornes et apprécient une bonne chanson.
Aussi, sa trame narrative ressemble à celle des anciennes princesses. Elle est enfermée dans une tour. Kidnappée à l’âge du berceau, elle croit que sa mère est la méchante. Même si finalement ses deux parents sont vivants, sa situation familiale est brisée. Puis, Eugène influence les actions et les décisions de Raiponce. Elle n’a donc qu’un demi pouvoir d’action. D’ailleurs, son arme de femme libérée est un poêlon. Même si elle acquiert du pouvoir, elle ne peut pas se déchaîner de l’image de la femme au foyer.
En fin de compte, je considère que ses actions sont plus marquées par la chance et par sa naïveté que par une réelle émancipation. La plus belle preuve, c’est qu’elle aurait très bien pu sortir de la tour toute seule avec ses cheveux, mais, à la Disney, un homme charmant arrive pour transmettre le courage nécessaire à cette action.