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La folie: l’évolution laborieuse d’un concept médical et de sens commun

De plus en plus démystifiée, la maladie mentale reste un phénomène avec lequel chaque société a vu des hommes et des femmes adopter des comportements différents de ceux employés par la majorité. De l’époque de la Nouvelle-France jusqu’à la première moitié du XIXe siècle, Chantale Vézina, psychologue clinicienne et auteure de la conférence Histoire du fou à Québec de 1608-1850, a dressé un portrait de l’évolution de la perception de ces comportements marginaux d’autrefois.

« À l’époque, on parlait de fou, aujourd’hui c’est un peu péjoratif », souligne Chantale Vézina. Selon les époques et les différentes sociétés, le traitement de la folie a connu plusieurs méthodes. Mme Vézina a été en mesure de remonter le temps jusqu’aux Premières Nations.

Chez les peuples autochtones, le traitement des troubles mentaux s’effectuait dans la collectivité. L’onohairoia, qui signifie « renversement de la cervelle », était employé par le chaman et le reste du peuple. Dans un même élan, tous adoptent le même comportement de la personne troublée afin de la ramener à la santé. « Je trouve ça très intéressant, parce que plutôt que de mettre à l’écart la personne ayant un comportement différent, ils vont faire comme elle pour la ramener dans la collectivité », mentionne la psychologue.

Reste que si l’individu aux prises avec des troubles mentaux devient trop dangereux pour le reste du peuple, il sera sacrifié. « Ce n’est pas tout rose non plus, mais dans un premier temps il y a une tentative pour garder la personne avec soi. Dans cette situation, la collectivité demeure plus importante que l’individu », ajoute Mme Vézina.

Nouvelle-France : rétablir les humeurs

À partir de l’époque de la Nouvelle-France, la compréhension de la médecine de l’époque se réfère à la théorie des humeurs d’Hippocrate. « L’idée c’est que l’homme possède différentes humeurs dans le corps. Quand on a un mal physique ou psychique, il y aurait un déséquilibre dans les humeurs. C’est avec cette théorie-là qu’on va approcher la maladie mentale au départ », explique Chantale Vézina.

Afin de rétablir l’équilibre entre les humeurs, la prescription de l’époque se résume à la saignée. « Il n’y avait pas de traitements psychologiques pour les fous à cette époque », affirme-t-elle. En termes de médication, la psychologue indique que le castoreum, composé de rognons de castor, a grandement contribué à diminuer les symptômes, mais sans pour autant guérir les troubles mentaux de l’époque.

De furieux à rempli de vapeurs

Que ce soit durant le Régime français ou anglais, les fous ont droit à différentes appellations pour caractériser le degré de leur folie. Parmi les vocables employés, on compte dément, furieux, insensé, mélancolique ou encore rempli de vapeurs, ce dernier fait notamment référence à la théorie des humeurs. Ces termes seront généralement associés avec les différents symptômes que le fou présente. « Ça met en évidence l’imprécision du concept de la folie. On utilise toute sorte de mots parce qu’on ne saisit pas vraiment ce qu’il se passe », indique Mme Vézina.

Les loges : l’ancêtre des asiles

En 1717, l’encadrement de la folie est pris en charge par l’administration coloniale et instutionalisé. La construction de quatre loges annexées à l’Hôpital général de Québec sert d’hébergement pour les « fols et les prostitués ». « En moyenne, les personnes y restaient environ un an », note la psychologue.

Les personnes qui y habitent proviennent de toutes les classes sociales, mais sont généralement issues de la ville. Un certain devoir moral et un élan de solidarité familiale ont fait en sorte qu’environ 90 % des fous sont gardés à la maison. « Tant qu’il [le fou] restait docile, on pouvait lui donner certaines tâches à faire dans les champs », précise Chantale Vézina.

XIXe siècle, la médicalisation de la folie

À partir du XIXe siècle, les médecins anglais, influencés par les différents courants européens à la naissance des sciences sociales, amèneront en Amérique les balbutiements de la psychiatrie. Dorénavant, la folie est davantage perçue comme une maladie, ou un trouble, plutôt qu’un phénomène social. « On donne davantage la parole au patient, ce qui, à mon avis, humanise beaucoup plus la pratique », confie-t-elle.

Le Français Philippe Pinel écrit un traité médical philosophique sur l’aliénation mentale. « Pour la première fois, on parle de troubles mentaux qui sont dus à des atteintes physiologiques, mais provoquées par les émotions », expose Mme Vézina. En 1801, l’acte « pour le soulagement des personnes dérangées dans leurs esprits et pour le soutien des enfants abandonnés » permet aux fous d’acquérir un statut social officiel.

Malgré tout, Chantale Vézina estime que les psychiatres de l’époque n’ont pas été en mesure de créer une certaine distinction entre les différents degrés de folie. Quant au progrès, elle constate qu’il est peu observable entre 1608 à 1850 : « on enfermait les gens dans les loges et plus tard on les enfermait dans un asile. »

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