Le français, ce mal-aimé de plusieurs élèves qui posent de nombreux défis aux enseignants

Toujours ces mêmes règles qui sont maintes fois répétées du primaire jusqu’à l’université. Personne ne s’étonne lorsqu’on dit que l’apprentissage du français est une chose ardue pour plusieurs. De quelle façon les futurs enseignants de la langue la plus couramment utilisée au Québec doivent-ils aujourd’hui s’y prendre pour que les élèves puissent bien l’assimiler ? Annik Bernèche, enseignante de français au secondaire depuis plus de 10 ans, nous partage son constat sur la façon dont ses élèves abordent la langue, mais aussi sur les difficultés qui en découlent lorsque vient le temps de l’inculquer en classe.

Par Andréi, journaliste multimédia 

Impact Campus : Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir enseigner le français à des jeunes au secondaire ?
Annik Bernèche : J’ai toujours eu l’enseignement en moi. Plus jeune, j’entraînais au patin. Je crois avoir un côté humain assez développé. Le français n’a pas été mon premier choix lorsqu’est venu le temps de ma formation en enseignement, mais j’y ai vu un beau défi. Il est rare que ce soit la matière préférée des élèves. Je souhaitais donc tout d’abord avoir la

chance de leur apprendre la langue avec laquelle ils parlent : le pouvoir des mots, de bien s’exprimer. Aimant beaucoup la culture dans la vie de tous les jours, je trouvais que ça s’arrimait bien avec le français, ce qui permet du même coup de rendre la matière un peu plus intéressante.

I.C. : L’apprentissage du français n’est pas simple pour tous les élèves, notamment en raison de ses nombreuses règles. Quelle approche peut-on prendre pour réussir à leur enseigner la langue ?
A.B. : On doit créer un lien avec les jeunes. De prime abord, ce qu’on tente de leur faire apprendre ne suscite pas toujours de l’intérêt chez eux. Donc, si on a une belle chimie avec nos groupes, c’est une excellente porte d’entrée pour la suite des choses. La lecture peut également beaucoup aider notamment avec des textes contenant des thèmes qui les touchent. Il est important aussi de les aider à avoir une prise de conscience quant au français. À leur âge, ils ne savent peut-être pas à quel point par exemple de bien s’exprimer à l’oral est primordial pour un futur métier.

I.C. : Le plus gros défi dans l’apprentissage du français est donc la prise de conscience à avoir quant à l’importance de bien manier la langue ?
A.B. : Oui. C’est peut-être cliché, mais les médias sociaux ont un impact. Les gens ont accès à une espèce de tribune, et ils s’expriment comme ils pensent que c’est correct de le faire. Finalement, on se rend compte de quelle manière ils écrivent, et on voit beaucoup de fautes de structure. Je pense à mes élèves de 5e secondaire qui doivent rédiger un texte ministériel de forme argumentative : s’ils se fient à ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux, les arguments des gens qui s’expriment sur différents sujets sont parfois pauvres. On vient à finir par se battre contre un phénomène social d’une certaine façon.

Je crois qu’il y a aussi l’anglais de par son accessibilité pour les jeunes qui vient jouer un rôle dans la difficulté à enseigner le français. Ce n’est pas négatif en soi, car de plus en plus, on voit qu’ils aiment voyager un peu partout à travers le monde, donc c’est important de connaître d’autres langues. Toutefois, lorsque vient le temps de leur faire écrire des textes en français, c’est certain que ça a un impact.

I.C. : La société change continuellement. Tu me disais que les jeunes sont ouverts à plus de choses, que certains ont un intérêt marqué pour l’anglais. Crois-tu qu’on doive revoir ce qu’on enseigne de la langue française aux élèves ?
A.B. : Il y a toujours place à l’amélioration. Peu importe ce qu’on voudrait changer dans l’enseignement du français, notre système d’éducation est saturé au niveau de ses ressources. Même si je voulais élaborer des projets innovateurs correspondant à la réalité de mes élèves, le temps joue contre moi, je n’ai pas beaucoup de matériel. C’est dommage, et c’est une lacune à mon avis.

Après quinze ans d’enseignement, je constate malheureusement que les cohortes sont de plus en plus faibles en français. Du temps de mes grands-parents, ils maîtrisaient la grammaire. Je suis déchiré entre la méthode traditionnelle qui avait prouvé son efficacité au fil du temps, mais en même temps on ne travaille plus avec le même type d’adolescent. Il y a également une augmentation des jeunes en difficulté dans les classes.

I.C. : Les jeunes d’aujourd’hui qui sont assis sur les bancs d’école font donc plus de fautes ?
A.B. : Oui. Je donne toujours la même dictée à mes élèves depuis 15 ans. Même si ça n’a rien de scientifique, je compare en construisant un tableau de statistiques. Ça m’a permis de voir que plus le temps passe, ils ont de plus en plus de faiblesses dans leur façon d’écrire. Par exemple, nombreux sont ceux qui ne sont pas en mesure de classer les mots dans les bonnes catégories. Ils ne peuvent donc pas différencier un déterminant d’un pronom. C’est difficile au niveau des accords, principalement pour ce qui est des participes passés, encore très peu maitrisés chez beaucoup de mes élèves de 5e secondaire. J’ai parfois l’impression qu’il y a un manque de motivation, d’investissement chez certains jeunes vis-à-vis leur langue maternelle. Ça peut être facile de mettre la faute là-dessus, mais au quotidien lorsqu’on enseigne, on le voit.

Je mise donc beaucoup sur l’écriture. Ils ont souvent des textes à corriger. Je demande leur opinion sur un sujet qui pourrait les intéresser, et ils m’écrivent leur prise de position là-dessus. Je donne des ateliers où ils peuvent écrire ce que bon leur semble, et on retravaille leurs productions ensemble.

I.C. : Plusieurs histoires dénonçant le fait que certains étudiants en enseignement réussissent à obtenir leur diplôme universitaire malgré de nombreuses lacunes dans leur maniement du français ont été relatées dans les médias au cours des dernières années. Un conseil pour les futurs enseignants ?
A.B. : Le français, ça s’apprend. Je m’inclus dans ce conseil, mais c’est facile de nos jours de faire un mauvais usage de langue, notamment sur les réseaux sociaux. Pour les futurs profs, de réviser la matière est très important. Ils doivent être prêts avant de se présenter devant un groupe d’élèves. Le moins possible d’improviser devant eux, surtout en ce qui a trait à la matière. Anticiper les questions qui pourraient surgir. Lire sur une base régulière permet de pratiquer sa mémoire visuelle. S’informer aussi en n’ayant pas peur de poser des questions à des collègues ayant davantage d’expérience, c’est une preuve d’intelligence selon plusieurs.

Photo par Amador Loureiro

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