Si l’actualité fait partie de la vie de chaque citoyen, le métier de journaliste est surement un des moins bien compris de notre société. Il est peu souvent question de la détresse psychologique qui guette les reporters au quotidien. Même Tintin a peut-être eu ses coups de blues.
« Vous faites le plus beau métier du monde ». Cette phrase, je l’ai entendue de nombreuses fois depuis que j’ai commencé mes études en journalisme il y a trois ans. On ne va pas se mentir, c’est plutôt vrai. Le métier de journaliste, c’est faire des rencontres incroyables et raconter des histoires, mais c’est aussi un métier qui comporte sa dose de stress et de traumatisme. Je ne me méprends pas, le domaine journalistique est loin d’être le seul métier qui est aux prises avec ces problématiques. Les policiers, les médecins, les ambulanciers, et j’en passe, vivent des situations similaires. C’est juste qu’en journalisme, la question est trop peu souvent discutée.
Demandez à des journalistes. Ils s’entendent presque tous pour dire que les horaires n’ont pas de sens, qu’il n’y a pas assez d’argent pour faire rouler la machine, qu’ils sont débordés, etc. Pourtant, ils n’échangeraient leur métier pour rien au monde. « Tu fais ce métier pour changer le monde, vivre des émotions fortes et faire des rencontres fortes », explique le professeur au Département d’information et de communication de l’Université Laval, Thierry Watine. Après de nombreuses années entre les murs des universités ici et en France, monsieur Watine ne minimise pas l’anxiété qu’il ressent chez plusieurs étudiants qu’il reçoit dans son bureau. « Est-ce que j’ai une place dans ce métier ? », se demandent plusieurs en observant la dureté du milieu.
De nombreux facteurs de stress
Il est indéniable que le climat économique et technologique actuel dans lequel se trouvent les journalistes n’est pas toujours simple à gérer. « Il y a une pression qui augmente, parce qu’il y a des compressions, parce qu’on demande d’en faire plus avec moins et qu’à chaque fois, tout le monde qui travaille dans le milieu, se dit : OK, on est capable d’en faire un peu plus, explique Mickaël Bergeron, journaliste au journal Le Soleil et chroniqueur. Puis, si on regarde avec dix ans de recul, on se rend compte que c’est énorme la pression qui s’est accumulée ».
En parlant de cette pression toujours plus forte, Thierry Watine et Mickaël Bergeron s’entendent pour dire que les réseaux sociaux ont considérablement changé le milieu.
Si les nouvelles technologies nous rendent plus performants, cependant, elles permettent à n’importe qui de produire du contenu qui se veut journalistique.
Des mentalités qui doivent changer
« Ça a toujours été un métier où l’on doit gérer beaucoup de stress et des traumatismes, indique le président de l’organisme Canadian Journalism Forum on Violence, Cliff Lonsdale. Le problème, c’est qu’on ne prenait pas la situation au sérieux ». L’ancien professeur de journalisme à la Western University en Ontario a œuvré dans le domaine journalistique pendant près de 40 ans. Après une carrière bien remplie comme pigiste en zone de conflit, reporter et rédacteur en chef à la télévision de CBC, Cliff Lonsdale a créé cet organisme pour changer la culture des salles de nouvelles en lien avec la détresse émotionnelle des journalistes. « Nous étions dans une culture journalistique macho et toxique qui disait : prends sur toi ! », explique l’ancien journaliste.
Une réalité qui touche autant le journalisme en zone de conflit que le journalisme local. Dans ce deuxième milieu, les traumatismes sont trop souvent minimisés. Comme l’indique Cliff Lonsdale, un journaliste d’une petite communauté qui va couvrir un accident de la route peut connaître certaines victimes. « Ça peut être aussi traumatisant que cela, dit-il. Les gens ne parlent que des correspondants de guerre, mais il n’y a pas qu’eux qui vivent cela ».
Dans les cas de traumatismes ou de fatigue professionnelle, les directions d’entreprises de presse semblent peu préparées à gérer la situation. Si certaines entreprises ont les moyens d’offrir un soutien psychologique à leurs employés, les plus petits médias n’ont souvent pas les ressources financières nécéssaires. C’est ce qu’a vécu Mickaël Bergeron lorsqu’il a fait un burn-out dans une radio indépendante. Il avait conscience que s’il prenait un congé, ils mettaient le reste de son équipe dans le pétrin. Une réalité encore plus présente chez les journalistes pigistes.
Vers un journalisme plus humain
« Il y a ce cliché qu’un journaliste c’est Superman, qu’une journaliste, c’est Superwoman, qui est capable de courir sur les fronts, prendre des balles », dit monsieur Watine. Selon lui, cette idée provient d’une méconnaissance du métier. Il pense plutôt que c’est une profession qui attire des personnes sensibles. « C’est une profession intellectuelle, journaliste, avant toute chose, et donc, c’est des gens fragiles. J’ai presque envie de dire que c’est peut-être une condition un peu nécessaire, cette fragilité, qui ne correspond pas du tout aux stéréotypes ».
Un stéréotype que Cliff Lonsdale essaye aussi de casser en déconstruisant la figure du journaliste objectif. « Je disais à mes étudiants : quand quelqu’un vous dit que vous êtes censés être objectifs, dites- lui stop ! Je ne peux pas l’être, car je suis humain », explique-t-il. Si un journaliste s’efforce de vérifier l’information de façon objective, il n’est pas un robot.
Mais si ces trois hommes aux réalités bien différentes peuvent s’entendre sur un point, c’est qu’il faut mieux informer les patrons de presse et les journalistes sur les problèmes que peuvent engendrer le stress du métier. Si la discussion à ce sujet est de plus en plus présente, comme l’indique Mickaël Bergeron, elle est encore victime de beaucoup de tabous.