Par Emmy Lapointe, cheffe de pupitre arts et culture
La Promesse de l’aube – Romain Gary
Récit autobiographique articulé autour d’une mère ressuscitée et prolongée. Toujours à cheval entre une infinie tendresse et une abnégation mortelle : Romain Gary traite de l’amour maternel comme personne.
« Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ca vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. »
C’est de l’eau – David Foster Wallace
C’est de l’eau a d’abord été un discours récité à l’occasion d’une cérémonie de graduation au Kenyon College en 2005, avant d’être publié quelques mois après le suicide de l’auteur. À lire encore et encore.
« Dans les tranchées de la vie adulte, l’athéisme n’existe pas. On ne peut pas ne rien vénérer. Tout le monde vénère quelque chose. On peut seulement choisir ce qu’on vénère. […] Vénérez votre intellect, l’impression d’intelligence que vous donnez, et vous finirez par vous sentir idiots, des imposteurs toujours à deux doigts d’être découverts. […] Il y a de nombreuses libertés et vous n’entendrez pas parler de la plus précieuse. […] La liberté la plus importante nécessite de l’attention, de l’ouverture, de la discipline et la capacité de s’intéresser pour de vrai aux autres, de se sacrifier pour eux, encore et encore, chaque jour. […] Ça, c’est la vraie liberté. Ça, c’est apprendre à penser. […] Il n’est pas question de morale, de religion, de dogme ou de grandes questions chic de vie après la mort. La vérité avec un grand V est celle de la vie avant la mort. Comment arriver à trente ans, peut-être même cinquante, sans avoir envie de vous mettre une balle dans la tête. »
Le Jeu de la musique – Stéfanie Clermont
Recueil de nouvelles coup de poing. Parce que le suicide est traité sans filtre avant d’être dépassé, parce qu’il est écrit comme un cri du ventre, parce qu’il est avant tout un espace où l’on vit, où l’on se révolte, le livre de Stéfanie Clermont déracine tout sur son passage pour mieux replanter par la suite.
« J’ai toujours aimé la mer, mais elle, elle ne m’a jamais assez aimé pour me garder, chaque fois, elle m’a recraché sur la plage. »
« Je contemplais ma plaie ouverte en sachant qu’elle se refermerait un jour. »
Coeur par coeur – Roland Giguère
Quelques mois avant une mort annoncée, à presque 75 ans, Roland Giguère écrit pour sa femme, Marthe, un dernier chant d’amour. Et je voudrais pouvoir le lire encore pour la première fois. Des vieux qui s’aiment, ça crève toujours le cœur.
« Écris-moi des envolées comme autrefois
Des échappées de toutes les couleurs
Des fuites éperdues dans les jardins d’été
Des rubans de plaisir à nos pieds enroulés
De longs chants très doux dans le vent
[…|
Écris-moi des présences prolongées
Jusqu’à la fatigue de la nuit
[…]
Écris-moi toutes sortes de choses
Des sottises de fadaises des balivernes
Des bêtises innombrables des fautes à
la ligne
Des phrases boiteuses des cris étouffés
Ou des mots très doux entre deux verres
Des soupirs sur papier chiné
Une lettre une simple lettre
Que tu choisiras dans notre alphabet »
Le cimetière des filles assassinées – Jacques Beaudry
Essai à propos de quatre femmes brillantes, mortes trop tôt. Sylvia Plath, Ingerborg Bachmann, Sarah Kane et Nelly Arcan revivent un peu sous les mots de Beaudry, juste le temps qu’on les comprenne mieux, qu’on mette à mal le système qui les a détruites.
« [L]a profonde dépression est la seule douleur intérieure qui laisse, à qui lui survit, le souvenir de sa propre mort. »
Mrs Dalloway – Virginia Woolf
La mort n’est jamais à chercher chez Virginia Woolf, elle est toujours là, couchée entre deux pages. Dans Mrs Dalloway, il est question de ce vide qui avale, du vide qui a un poids disait Arcan, de celui qui pousse à mourir.
« Elle voyait bien ce dont elle était dépourvue. Ce n’était pas la beauté ; ce n’était pas l’intelligence. Mais une chose centrale qui irradiait ; quelque chose de chaud qui venait percer à la surface et faisait frissonner le froid contact entre homme et femme, ou entre femmes. »
Testament – Vickie Gendreau
Autofiction testamentaire. Décédée à 24 ans d’une tumeur au cerveau, Vickie Gendreau a craché sa hargne le temps qu’elle a pu. Impression d’avance rapide, d’arrêts sur image, impossible de rewind la cassette.
« Tout est impératif maintenant dans ma vie. C’est probablement la dernière peine d’amour que je vis. Ça fait mal les dernières fois, c’est vulgaire la vie. »
« Mes histoires ne fonctionnent jamais. C’est pour ça que j’aime la poésie, c’est toujours infini. Les gens qui finissent leurs poèmes par un point, je m’en méfie »
Les fous de Bassan – Anne Hébert
Quand je parle d’Anne Hébert et de ses œuvres, je finis toujours par retourner à ses Fous de Bassan et à tous leurs enfants morts en chemin. C’est un livre d’une violence sans nom, mais d’une violence qui est pourtant dite avec toute la justesse du monde.
« Toutes les maisons ont des fenêtres brillantes, chaudes, orangées, reflétées sur l’herbe. Il est des nuits pour naître, d’autres pour mourir, celle-là sur la côte (on entend déjà la musique) est faite pour danser dans l’odeur du foin nouveau. »