Sans que l’on s’en aperçoive, Némo nous a montré lorsqu’on était jeune un bel exemple de relation symbiotique entre lui et sa maison : le poisson-clown et l’anémone sont des organismes qui ont besoin de l’un et l’autre pour vivre, puisqu’ils se fournissent respectivement abri et nourriture. Dans ce cas-ci, les deux partis bénéficient du partenariat, ce qui en fait une relation mutualiste. Zoom sur ces alliances tissées entre des organismes ou, comme dans le cas du lichen, sur ces alliances qui tissent ensemble des organismes.
Par Sabrina Boulanger, journaliste multimédia
Lichen et symbiose
Entre les relations favorables pour tous les partis impliqués et celles qui en font prospérer un aux dépens de l’autre, on retrouve un spectre de symbioses qui ont toutefois en commun de permettre à des organismes d’avoir des vies liées de manière très étroite. Certaines relations ont lieu sur une échelle plus grande, avec des unités visuellement distinctes comme pour le poisson-clown et l’anémone, mais le concept est aussi applicable au sein de « choses » que l’on considère une. Ainsi, tandis que le lichen semble à première vue « une seule chose », il est en fait le fruit de l’union fusionnelle entre champignons, l’hôte, et une ou des algues et/ou une cyanobactérie, le symbiote. Plus impressionnant encore, le lichen comprend même davantage d’organismes, d’autres champignons et bactéries, qui font de lui un écosystème en soi. À ce jour, on parle même d’holobionte pour désigner un organisme de manière plus inclusive par rapport aux microorganismes qui l’habitent. Le concept d’holobionte permet de repenser la notion d’individu – nous y reviendront plus tard.
Chacun a son rôle afin que le lichen puisse être; le mycobionte (la composante fongique du lichen) est structure, réserve d’humidité, fournisseur de sels et minéraux et le photobionte (la composante photosynthétique du lichen, soit une algue ou une cyanobactérie) est l’apport de nutriments issus de la photosynthèse. Le lichen ne requiert que très peu d’éléments pour vivre, c’est-à-dire une certaine qualité de l’air, de l’humidité et de la lumière. Et lorsque les conditions ne sont pas favorables à la vie, il tombe en dormance. La coopération qui est intrinsèque au lichen lui permet de vivre dans des conditions extrêmes : il est en arctique et subarctique, sur des rochers et des pics montagneux, dans des villes, dans des déserts, dans des zones post-catastrophes. Il s’agit ainsi d’un organisme pionnier – le lichen fait partie des premiers à végétaliser une aire qui a été perturbée, par un feu de forêt par exemple.
À ce propos, l’environnement influence les vivants au même titre que les vivants influencent leur environnement ; c’est une dynamique fascinante qui met en lumière l’importance des contextes et des relations. Un lichen crustacé, par exemple, contribue à façonner sols et autres substrats, puisqu’il peut mécaniquement et chimiquement les modifier. Cette « digestion » des substrats crée des milieux où d’autres formes de lichens, puis des bryophytes (notamment des mousses) peuvent par la suite s’installer. Le lichen a ainsi un rôle non négligeable dans la succession au sein d’une niche écologique : il crée un environnement propice à la vie, il fait office de pont entre le monde minéral et le monde végétal.
La frontière de l’individu
Maintenant que nous avons dessiné une esquisse de ce qu’est le lichen, pourquoi s’y intéresser, pourquoi écrire sur cela ? Parce que je pense que le lichen est un végétal omniprésent, visuellement magnifique et qu’il mérite d’être remarqué autour de nous. Parce qu’il s’agit d’un assemblage surprenant de formes de vies qui se sont tressées ensemble de manière interdépendante. Parce que c’est un bel exemple de symbiose, fabuleux phénomène qui porte à la réflexion quant au contour de l’individu par rapport à ce qui lui est extérieur.
Le lichen est, comme discuté antérieurement, une combinaison de plusieurs organismes qui en forment un, mais qui en sont aussi plusieurs à la fois. Cela remet en question le concept même d’« organisme », c’en floute les frontières. C’est quoi le périmètre exact d’un organisme ? À quel point un organisme est-il indépendant des autres ? Lorsqu’on se penche sur le concept d’holobionte, on réfléchit aux organismes en termes d’ensembles, on regarde un hôte avec ses microorganismes comme des choses qui se forgent mutuellement. L’humain, par exemple, prend pied sur des symbioses qui commencent à des niveaux aussi petits que celui de la cellule : la mitochondrie, qui fait la respiration cellulaire, aurait pour origine une ancienne bactérie intégrée à une cellule hôte, par endosymbiose.
Si le concept d’holobionte « actualise la notion d’organisme, [il] dissimule l’importance des interactions elles-mêmes » (Selosse, 2016). Marc-André Selosse propose d’ailleurs l’analogie de la toile d’araignée : cette dernière n’est pas un ensemble de points autant qu’elle est des fils qui relient ceux-ci. Similairement, le vivant est fait d’organismes, mais surtout de liens les unissant entre eux. En effet, parallèlement aux lichens, je pense qu’un individu – un humain, en l’occurrence – est ce qu’il est beaucoup de par ses relations. Au niveau macro (on sort donc ici de la cellule ou de l’intestin), je perçois les relations comme centrales à l’identité d’une personne. Elles renchérissent les valeurs, font émaner des discussions formatrices, partagent les intérêts, mènent vers des opportunités et des gens qui à leur tour auront leur influence sur nos comportements et réflexions. Le tout étant fait de manière réciproque, puisque nous avons nous-même une influence sur ces relations qui nous entourent.
En soi, la symbiose est captivante. Maintenant, la juxtaposer à la notion d’individu, puis à celle d’autonomie ou l’indépendance des individus, ça porte à des réflexions pertinentes par rapport à soi-même et à la façon de vivre en société. J’aime pour ma part l’idée qu’il puisse exister un équilibre entre l’indépendance et la dépendance par rapport aux autres, qu’il puisse s’agir d’interdépendance. À l’image du lichen qui prend forme dans la pluralité des liens qui le régissent, je ne crois pas que l’on puisse se combler de soi-même; les relations m’apparaissent sous-jacentes à l’actualisation de son identité. Et surtout, de ces relations, je pense que l’on peut retenir l’idée de la coopération dans le but d’obtenir un bénéfice réciproque. Parce que merci à Darwin pour sa théorie de l’évolution, mais tout n’est pas que compétition ; la collaboration est une force que l’on retrouve partout dans la nature et qui, elle, sait bercer les idéaux d’altruisme.
Merci à Aurélie Beaulieu-Laliberté pour les discussions verdoyantes à l’origine de ce texte, étudiante à l’Université Laval qui a été auxiliaire de recherche pour une étude postdoctorale sur le Cladonia stellaris et la succession après un feu, soit la recolonisation d’une aire par ce lichen puis par d’autres végétaux suite à un incendie.
Selosse, Marc-André (2016) « Au-delà de l’organisme, l’holobionte » Pour la Science, 469, 80-84.