Lingua Franca

« Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça, dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. » Voici le conseil que donne le renard au Petit Prince quand le second demande au premier ce qu’il faut faire pour apprivoiser. Ce cher renard avait bien raison; et pourtant, cette source de malentendus qu’est le langage demeure notre seul moyen d’essayer de s’entendre.

Par Mikaël Grenier, journaliste collaborateur

Le vrai langage de l’âme : la pensée

On dit que la traduction trahit la pensée d’un auteur. Rien n’est plus vrai. Or, les êtres d’émotions que sont les humains pensent en sentiments, en couleurs, en images, en musique… La pensée est à la fois le sourire et les larmes de l’âme humaine. Et pour être projetée vers le monde extérieur, elle ne dispose que d’un moyen : le langage. Mais le langage est traduction de notre pensée, il la trahit donc inévitablement.

Lingua franca

Une lingua franca est une expression désignant la langue véhiculaire sur laquelle s’entend, à une époque donnée, la majorité pour communiquer. On pourrait dire qu’aux XXe et XXIe siècles, l’anglais fait office de lingua franca. À une autre époque, ce fut le latin. Or, la particularité d’une lingua franca est qu’en général, elle n’est la langue maternelle
d’à peu près personne. Ainsi en est-il du langage à l’échelle des âmes humaines : il est notre lingua franca. L’utiliser est le compromis qu’on doit accepter pour communiquer avec nos semblables. Mais il n’est pas notre langue maternelle, et on n’est pleinement à l’aise que dans sa langue maternelle.

Ruissellement sémantique

Les mots, au fil des époques, changent peu à peu de sens. Cela constitue un obstacle majeur à la
communication intergénérationnelle, puisque les mots peuvent être compris de plusieurs manières. Souvent, on observe une déviation du mot par rapport à son sens initial ou étymologique. Par exemple, le mot « entendre » signifie de nos jours percevoir un son. Or, ce mot vient du latin intendere, qui signifie tendre vers. Le sens du mot « entendre» a donc anciennement plutôt voulu dire «comprendre». D’ailleurs, pour signifier à son
interlocuteur qu’on est d’accord, qu’on se comprend, on dira souvent « on s’entend » – rien à
voir avec la perception d’un son. Autrefois, on utilisait plutôt, le verbe « ouïr », dont l’existence
subsiste dans des expressions telles que « ouï-dire» et « Oyez! Oyez! ». On constate d’ailleurs sur ce point que la langue française s’est éloignée de sa cousine espagnole : les hispanophones utilisent le verbe entender dans le sens de « comprendre » et le verbe oïr pour dire «entendre ».

Il n’y a qu’une langue qui puisse véritablement communiquer ce que l’on porte en soi : celle du
cœur, de l’intuition et de l’authenticité. Difficile d’exceller dans l’art de bien communiquer. L’envie est forte de se connecter à l’Autre par les mots, mais n’oublions pas ces sages paroles d’Ernest Hemingway : « Il faut deux ans pour apprendre à parler et soixante ans pour apprendre à se taire. »

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