Lorsque l’actrice Alyssa Milano a tweeté, le 15 octobre 2017, les mots «Me too», personne n’aurait prédit que cette simple déclaration allait déclencher l’un des mouvements sociaux les plus importants de notre époque. Né sur la Toile, #MeToo a d’abord réussi à galvaniser les internautes, puis à changer les mentalités, jusqu’à restructurer nos institutions.
Par Myriam Boulianne, journaliste collaboratrice
Professeure au Département d’information et de communication à l’Université Laval, Josianne Millette croit que si ce mot-clic a eu une résonance aussi forte, c’est en raison d’un travail de base d’un militantisme féministe déjà présent : « Les mots-clic en eux-mêmes peuvent difficilement créer des mouvements, mais il y avait déjà quelque chose qui commençait à bouillir. Il y avait un besoin d’empowerment et d’expression par rapport à ces réalités-là.»
Ainsi, en 2014, il y a eu #AgressionNonDénoncée, précédé en 2007 par la campagne Me Too lancée à l’origine par la militante américaine Tarana Burke. Ce dernier mot-clic, repris par l’actrice Alyssa Milano sur les réseaux sociaux en 2017, a ensuite été relayé plus de 19 millions de fois sur Twitter. Le fait que des personnalités publiques appuient le mouvement lui a donné une impulsion significative. La visibilité médiatique apportée par les célébrités a permis de rejoindre et d’interpeller fortement l’opinion publique, estime Mme Millette. Celle-ci évoque un « point de bascule » lorsqu’un grand nombre de personnes s’est mis à utiliser le mot-clic. Cela a créé un débordement du mouvement de la sphère socio-numérique seule, jusqu’à un retentissement dans différentes sphères de la société.
C’est d’ailleurs le constat fait par Julie Tremblay, directrice générale de l’organisme Viol-Secours : « Il y a vraiment un avant et un après #MeToo. C’est 100% d’augmentation partout. » Auparavant, l’organisme faisait environ 80 accompagnements dans une année. Maintenant, il distribue 160 trousses médico-légales pour la même période. Ces trousses permettent entre autres aux victimes de récolter des preuves, tel un prélèvement d’ADN, pour les aider à porter plainte à la police.
#MeToo est également venu concrétiser un changement de mentalités, estime Mme Tremblay. « Il y a 10 ans, il y avait des mythes qui étaient présents, et maintenant ils ne sont plus là. On n’a plus besoin de les déconstruire, car aujourd’hui, c’est devenu une évidence. » Par exemple, que l’agression sexuelle touche peu de personnes était auparavant un mythe, alors que c’est aujourd’hui une réalité à combattre.
Répercussions mondiales
Plusieurs mesures ont été créées au sein des institutions québécoises, découlant directement de ce mouvement social. Ainsi, il y a eu le projet de loi no. 151 visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. Notons aussi que les Services de police des villes de Montréal et de Québec ont mis sur pied un comité de révision des plaintes pour agressions sexuelles jugées non fondées. On assiste également au retour des cours d’éducation sexuelle dans les écoles secondaires. « C’est suite à #MeToo que ça se passe tout ça », se réjouit Mme Tremblay.
Ailleurs dans le monde, notamment en France, où le mouvement a été rebaptisé #BalanceTonPorc, l’adoption d’un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles vise entre autres à condamner le harcèlement de rue. Aux États-Unis, l’élue démocrate Jackie Speier a déposé un projet de loi en vue de modifier le traitement des plaintes de harcèlement sexuel. Désormais, en vertu du nouveau projet de loi, les membres du Congrès accusés d’inconduite sexuelle seront tenus personnellement responsables. Autrefois, les contribuables avaient à payer la facture pour le règlement des plaintes.
Des réformes législatives de ce genre ont également eu lieu en Espagne, en Chine et en Australie, pour ne nommer que ceux-là. Tellement les répercussions ont été mondiales, Google a aussi créé un site web interactif appelé Me Too Rising, qui a pour mission de visualiser l’impact global du mouvement.
Impossible toutefois de savoir si le mouvement a eu des répercussions sur le nombre d’agressions à caractère sexuel. Même si le mouvement #MeToo n’a pas fait cesser ces agressions, il a fait en sorte que les victimes aillent chercher de l’aide plus rapidement et qu’elles dénoncent plus souvent. « Il reste beaucoup à faire. Il faut faire cesser les agressions, changer la culture du viol, arrêter de culpabiliser les victimes et responsabiliser les agresseurs », termine Mme Tremblay.