C’est avec ouverture, amour et humilité que Jean Désy, médecin et enseignant, dresse un portrait de ce qu’il appelle « une crise nordique ». Publié aux éditions XYZ, Être et n’être pas est un journal dans lequel il raconte ses péripéties à bord d’Air Inuit – ou plutôt en attendant de pouvoir monter à bord –, son exploration du territoire, ses rencontres, ses discussions et surtout les tragédies auxquelles il assiste en tant que médecin dépanneur à Salluit, au Nunavik.
Par Jessica Dufour, journaliste multimédia
Le récit s’étale sur deux ans et plusieurs allersretours entre le nord et le sud. Par sud, on entend tout ce qui borde le fleuve Saint-Laurent, en bas de la Côte-Nord. Au-delà du territoire, sont comprises les mœurs occidentales : le consumérisme, l’omniprésence du virtuel et cette idée que la vie humaine a davantage de valeur que la vie animale. Jean Désy écrit d’ailleurs : « La vie animale, dans la toundra, celle des petits rongeurs comme des oiseaux de proie, n’est jamais banale […] Je ne crois pas qu’aucun Inuit, encore aujourd’hui, considère son existence plus essentielle que celle des animaux sauvages. »
Très loin de l’esprit colonisateur, on le sent plein de respect pour ce peuple qu’il voit tant souffrir. Un peuple qui peine à s’ancrer malgré son occupation millénaire des terres nordiques. Un peuple affaibli par l’alcool, la détresse psychologique et la violence. Mais il n’y a pas que la tristesse et le deuil dans ce portrait du nord. Il y a l’humour inuit, l’entraide, les traditions de chasse et de pêche; il y a la beauté rageuse du climat, du paysage.
Jean Désy le répète souvent : il appartient aux Inuits d’améliorer leur condition, par la culture notamment. On reproche souvent à l’attitude coloniale cette espèce de volonté de sauver le monde, de l’éduquer, comme si les Blancs avaient la science infuse. Il ne faudrait pas répéter les erreurs du passé, se prendre pour des missionnaires. Et puis la plupart des problèmes du nord découlent directement ou indirectement de son contact avec le sud : « Le sud contamine le nord, cela me paraît indubitable […] L’isuma, l’esprit inuit, s’effrite. »
Guérir par le territoire
Il est possible d’étendre ce constat aux populations du sud qui, étouffées par la ville, prises dans la toile du web, gagneraient à reprendre contact avec la nature : « la toundra et même les villages parfois troublés m’ont paru cent fois plus sereins que cet univers urbain aux apparences policées, mais de plus en plus anxieux, sur le point d’exploser dans un grand boum de maladie sociologique ». Cette phrase n’a pas été écrite cette année, mais l’état d’anxiété généralisée qu’elle décrit, un état sociétal encore plus qu’individuel, semble avoir gagné en profondeur aujourd’hui avec tous les bouleversements que nous vivons. Et si ce malaiselà rejoignait un peu celui du nord? Après tout, sommes-nous si différents?
Jean Désy ajoute : « Combattre le sentiment que le « rien » règne, voilà à mon sens l’un des grands défis des gens du Nunavik contemporain. » N’est-ce pas
là, précisément, que réside le mal de vivre de toute la société contemporaine, cette impression de vide, et par extension, l’absence de vie spirituelle? Reconnecter l’un avec l’autre et surtout avec le territoire apparaît maintenant comme une solution. Les gens semblent vouloir délaisser la ville au profit de la campagne, apprendre à jardiner, à cultiver ou à cueillir sa propre nourriture. Et si on laissait les autochtones nous montrer comment?
Se réconcilier
Aux yeux de Jean Désy, justement, « le meilleur des mondes ne peut provenir que d’une métisserie entre les forces nordiques et sudistes ». Plus important encore, « il ne faut surtout pas croire que la société inuite redeviendra heureuse en tentant de copier la société des bien-pensants du Sud, une société bourgeoise qui croit d’abord dans les valeurs du law and order […] ce ne sera que dans la réconciliation du « bien et du mal », ou même « pardelà le bien et le mal » que l’univers nordique que nous sommes nombreux à aimer pourra redevenir terre de résilience et de création ». Il faudrait donc s’affranchir de la morale telle qu’on la connaît pour embrasser notre nature animale, nous réconcilier avec le territoire, avec ceux qui l’habitaient avant que nos ancêtres s’y établissent.