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Mouvement pour l’altérité : Quand l’autre s’affiche

Au cours du dernier mois, plusieurs mouvements mettant en valeur les droits de minorités ont fleuri sur les réseaux sociaux. En plus de l’altérité, ils font valoir aussi l’affirmation de soi ou la dénonciation d’une injustice. Souvent clamées par le hashtag, ces vagues de reconnaissance de l’autre se sont démarquées dans le mois d’octobre entre autres avec le #JusticePourJoyce, le #ProudBoys et Julie Top 1 du Québec.

Par Léonie Faucher, rédactrice en chef

Selon Marie Liendle, docteure en philosophie, « dans le langage courant, l’altérité signifie l’acceptation de l’autre en tant qu’être différent, cette acceptation se voulant être la base de la reconnaissance de ses droits à être lui. L’altérité est un concept d’origine philosophique signifiant « caractère de ce qui est autre » et « la reconnaissance de l’autre dans sa différence », la différence s’entendant ethnique, sociale, culturelle ou religieuse. ».

« Nous pouvons noter une lente modification du sens liée aux changements socio-culturels historiques et à l’évolution des sciences sous la poussée plus ou moins forte des penseurs qui dénoncent les pratiques exercées telles que les abus de pouvoir liés aux différences de race ou de classes sociales. » – Marie Liendle, docteure en philosophie

#JusticePourJoyce

Au cours du mois d’octobre est décédée Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette suite à du racisme systémique de la part d’infirmières. Ce qui est décevant, c’est que la réaction du Gouvernement suit seulement parce qu’une vidéo des actes racistes a été publiée en direct sur les réseaux sociaux. En effet, le contexte de l’événement rappelle le malheureux décès de George Floyd en mai 2020 aux États-Unis suite à du racisme systémique de policiers; la vidéo a circulé, entraînant une réaction de l’État. Le racisme systémique est une réalité et ce n’est malheureusement pas en ignorant qu’elle existe en dehors des quelques vidéos la présentant que ça va s’améliorer.

« La violence et le racisme dont Joyce Echaquan a souffert sont partout, mais souvent invisibles. Cependant, elle a pu courageusement enregistrer ses appels à l’aide à sa famille et dénoncer le racisme et la négligence que les peuples autochtones endurent quotidiennement, dans son cas avec des conséquences tragiques », affirme Nakuset, directrice générale du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, dans un article du Nouvelliste.

#ProudBoys

À la base, Proud Boys est une organisation américaine libertarienne et conservatrice (parfois qualifiée de néofasciste), n’acceptant que des hommes comme membres. Au début du mois d’Octobre, Trump a dénoncé le groupe pour ses actes de violences. Le groupe s’est alors approprié les mots de Trump pour les utiliser comme cri de ralliement, profitant ainsi d’un regain de visibilité.Le #ProudBoys est cependant repris par l’activiste George Takei, mettant cette fois en avant la communauté LGBTQ : «Et si des mecs gays prenaient des photos d’eux-mêmes en train de s’embrasser ou de faire des choses très gays, puis se taguaient avec #ProudBoys. Je parie que ça les gâcherait vraiment. #ReclaimingMyShine », a tweeté Takei. Et ça a lancé une vague de publications d’amour et de fierté visant à envahir la presse d’un #ProudBoys différent du mouvement néofasciste de base.

Julie Top 1 du Québec

Spectatrice assidue d’Occupation Double que je suis, je crois que le message de la candidate Julie Munger s’inscrit également dans la catégorie de l’altérité. L’inégalité sociale liées aux différences physiques est présente au Québec, mais l’émission de télé-réalité, malgré des efforts faits d’année en année, ne l’assume toujours pas entièrement. C’est lors d’un souper d’élimination que l’animateur Jay du Temple suggère que Julie serait le Top 1 du Québec à défaut d’être le Top 1 d’un des candidats de l’aventure .

La candidate n’hésite pas à dénoncer le manque d’intérêt des garçons qui ont été mis dans l’aventure envers la diversité corporelle et aimerait au moins que son message passe : « J’espère que j’inspire beaucoup plus que je peux penser que j’inspire ici. Et j’espère que ça va faire avancer les choses, et que ça va faire comprendre à plein de gens que la différence, c’est beau », a déclaré Julie.

Pourquoi l’Autre dérange?

« L’autre justement, et même l’Autre – avec majuscule – est souvent invoqué comme explication de l’oppression des femmes, de celle des non-Blancs, ou encore de celle des homosexuels. Pour mettre fin aux discriminations fondées sur le genre, la race ou la sexualité, ou sur tout autre chose, il faudrait et il suffirait que nous nous décidions une bonne fois pour toutes à accepter l’Autre. » – Christine Delphy, sociologue ainsi que co-fondatrice et directrice des revues Questions féministes et Nouvelles questions féministes.

Ainsi, qui est l’Autre? La formulation de l’acceptation de l’Autre pour décrire l’altérité est vague. L’Autre peut être semblable ou différent. Christine Delphy ajoute, dans son article Les uns derrière les autres : comment se construit l’altérité, que « ça peut être aussi toute une bande d’autres et en général, c’est ça : c’est un groupe, stigmatisé, dont on ne dit d’ailleurs pas qu’il est stigmatisé. On le comprend parce qu’on l’appelle “l’Autre” et qu’on sait que nous avons du mal à accepter l’Autre. Ce discours est si fréquent qu’il est impossible de passer une journée sans le lire ou l’entendre, et cependant, il recèle lui aussi un mystère. Tout le monde a l’air de savoir qui sont ces Autres ; tout le monde parle d’eux, mais eux ne parlent jamais ».

« Aussi cet Autre n’est jamais maltraité en raison de qualités ou de défauts qu’il exhiberait en tant qu’individu ou que groupe ; il est maltraité d’entrée de jeu, au moment même où on commence à le désigner comme Autre. », précise Christine Delphy, sociologue.

L’être humain moderne cherche sans cesse à catégoriser, à classer et à hiérarchiser ce qui l’entoure. En effet, au travail comme à l’école, la hiérarchisation doit être respectée. Un élève ne peut pas argumenter avec le directeur, celui-ci aura toujours le dessus par son poste. Pour la catégorisation, les débats sur si la tomate est un fruit ou un légume représentent bien le besoin de mettre les concepts dans des boîtes. Lorsque quelque chose ou un individu n’entre pas dans les catégories que la société occidentale s’est créées, la stigmatisation opère. Ce qui est différent est rejeté.

« La haine du “différent” n’est pas un trait “naturel” de l’espèce humaine ; c’est la tradition occidentale, formalisée dans la philosophie, qui a posé comme élément constituant et universel du psychisme humain cette haine, et inventé le concept d’”Autre” ; or en fait c’est la société – et non une hypothétique «nature humaine » – qui construit cet “Autre” par des pratiques concrètes matérielles, dont font partie des pratiques idéologiques et discursives. », explique Christine Delphy.

Finalement, ce qui terrifie, c’est peut-être de ne pas comprendre tout ce qui nous entoure. D’être conscient.e que le vaste monde contient des éléments qui ne nous correspondent pas. « Ainsi la philosophie occidentale, qui prétend dire la vérité sur l’être humain, indépendamment du lieu ou de l’époque, sur un être qui n’est donc spécifié par rien qui doive à sa situation concrète dans une société donnée, décrète que “l’autre personne” est un danger. Cette philosophie est donc simultanément une psychologie puisqu’elle décrit ou prédit des réactions (d’inquiétude face à l’autre personne) et des désirs (de solitude). », mentionne Christine Delphy, sociologue.

Auteur / autrice

  • Léonie Faucher

    Passionnée de l'écriture, Léonie termine cette année son Baccalauréat en études et pratiques littéraires. Plus tard, elle vise l'enseignement de la littérature au collégial. Son parcours universitaire est marqué par son implication journalistique. Les mots et la photographie sont ses outils de prédilection. En tant que journaliste, les sujets sociaux, artistiques et les créations l'intéressent particulièrement.

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