20 000 lieues au-dessus des rêves

Je structurais le magazine avec les sujets qu’on m’avait soumis, c’était assez varié, plus qu’à l’habitude même, sauf que turns out, personne d’entre nous n’avait décidé de travailler sur le rêve à proprement dit, genre ceux qu’on fait en dormant. J’ai troqué mon premier sujet pour celui des rêves en sachant à l’avance que tout ce qui me rapprochait de la neuroscience, c’était mon nombre élevé de commotions cérébrales. Cela dit, je pense que la curiosité est déjà un bon point de départ. 

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

Un cerveau qui dort, on fait comment pour comprendre ça ?
Sans surprise, la méthode la plus simple et la plus ancienne qu’utilisent les scientifiques pour étudier les rêves consiste à demander au dormeur ou à la dormeuse à quoi iel a rêvé à son réveil. Bien qu’assez rudimentaire, cette technique a permis à William Domhoff, professeur à l’Université de Californie, et à son équipe de créer une banque de données des rêves. Jusqu’ici, la banque de données regroupe au-dessus de 20 000 rêves. Comme un défrichage du sujet, la banque de données a permis à d’autres études de mieux comprendre la fonction et les mécanismes des rêves. Ces études nous ont entre autres permis de découvrir que les rêves contiennent deux fois plus d’émotions négatives que d’émotions positives. Seulement 2% des rêves chez les hommes adultes en sont des érotiques et 0,5 % chez les femmes adultes (je n’ai pas trouvé de statistiques concernant les personnes dont l’identité de genre n’est pas binaire). 

Après ça, ça reste assez limité comme façon d’enquêter sur le monde des rêves, ne serait-ce qu’à cause de l’oubli de bon nombre d’entre eux et de l’imprécision avec lesquels ils sont décrits; l’IRM et l’EEG sont donc devenus la nouvelle porte d’entrée.

En 2012, le chercheur Tomoyasu Horikawa et son équipe ont créé un logiciel décodeur des rêves grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF). En gros, ce qu’iels ont fait, c’est qu’iels ont pris des sujets éveillés et leur ont montré des centaines d’images pour voir quelles régions du cerveau s’activaient pour chacune d’entre-elles. Iels sont arrivé.es à une certaine cartographie du cortex cérébral. L’étape d’après consistait à faire dormir les patient.es, à les réveiller régulièrement et à leur demander s’iels rêvaient à telle ou telle chose selon la région du cerveau qui s’était activé à l’écran. Les prédictions se sont avérées dans 55 à 90% des cas. 

Comment fait notre cerveau pour rêver ?
Déjà, à la base, il faut savoir que le sommeil, c’est une baisse de l’état de conscience. On perd alors notre vigilance et notre tonus musculaire. Le sommeil peut se diviser en trois types, et chaque nuit, nous passons au travers de 3 à 6 cycles. On retrouve davantage de sommeil lent profond dans la première partie de la nuit alors que dans la seconde, c’est plutôt du sommeil lent léger et du sommeil paradoxal. 

Le sommeil lent qu’il soit léger ou profond est caractérisé par des ondes lentes, le métabolisme cérébral est ralenti. On commence toujours les nuits par une phase de sommeil lent léger après l’endormissement. Le sommeil lent léger reviendra régulièrement pendant la nuit, c’est à ce moment-là que nous sommes le plus facilement « réveillables ». Vient ensuite le sommeil lent profond. C’est pendant ce cycle que notre corps récupère le plus. 

De son côté, le sommeil paradoxal, le troisième et dernier type, est celui qui loge le plus grand nombre de rêves, les plus intenses et les plus concrets surtout. Si le corps est parfaitement immobile grâce au pont de Varole (une petite structure du tronc cérébral), l’activité cérébrale est à son paroxysme (d’où le qualificatif paradoxal). 

Francesca Siclari, professeure à l’Université du Wisconsin, a mené avec son équipe, en 2017, une étude à propos des ondes dans notre cerveau lors du sommeil. En gros, elle a invité des gens à venir dormir au laboratoire pour mesurer l’activité cérébrale dans différentes zones du cerveau durant le sommeil. Les participant.es étaient fréquemment réveillé.es pendant la nuit et se faisaient demander s’iels étaient en train de rêver. L’équipe a donc pu comparer l’activité cérébrale quand le sujet rêve de quand il ne rêve pas. 

Déjà, les chercheurs et chercheuses ont pu confirmer qu’on ne rêvait pas seulement pendant le sommeil paradoxal. Iels ont aussi découvert une zone qu’iels considèrent être le noyau cérébral du rêve, une zone qu’iels ont nommée « point chaud postérieur », car elle est située dans la moitié arrière. Ce point couvre essentiellement des zones sensorielles visuelles, mais aussi le cortex cingulaire et le précuneus, des zones connues pour l’intégration des informations sensorielles. Selon l’équipe de Siclari, ces parties du cerveau sont tout à fait aptes à créer un monde immersif.

Pour mettre à l’épreuve leur découverte, les chercheurs et chercheuses observaient l’activité cérébrale en temps réel d’un.e dormeur | dormeuse et le réveillaient chaque fois qu’il y avait des ondes rapides dans le point chaud postérieur afin de lui demander s’iel était en train de rêver. 90% du temps, c’était bel et bien le cas. De son côté, le cortex préfrontal, c’est-à-dire la partie responsable du sens critique, du jugement et du raisonnement, est pratiquement inactif pendant les rêves, ce qui explique entre autres pourquoi ils n’ont souvent ni queue ni tête. L’amygdale (celle dans le cerveau, pas dans notre gorge) est au contraire souvent très stimulée ce qui, cette fois, explique l’intensité de nos rêves. 

Pourquoi rêve-t-on ?
Entre les messages des dieux de l’Antiquité et les désirs refoulés resurgissant de Freud, sans surprise, on veut savoir (depuis la nuit des temps) pourquoi on rêve. Déjà, l’idée que nos rêves pourraient avoir une signification universelle (perte des dents = perte d’argent par exemple) est rejetée par la plupart des scientifiques malheureusement. 

Contrairement à l’époque de Freud ou de Pline l’Ancien, on sait maintenant que les rêves ont une importance capitale pour les fonctions cognitives. D’abord, les rêves permettent de mémoriser des événements en les rejouant de façon modifiée. Évidemment, on ne revit pas exactement nos journées, mais certains éléments sont parsemés par fragments dans nos rêves. Le fait de remodeler les événements viendrait aussi jouer sur notre créativité. Ainsi, plusieurs scientifiques avancent que les rêves permettent de trouver des solutions à des problèmes en plus de favoriser l’apprentissage. Selon une étude réalisée à Harvard, les éléments appris avant le sommeil et se retrouvant dans nos rêves sont trois fois plus consolidés. 

Pourquoi certain.es se souviennent-iels de leurs rêves et d’autres pas ?
Dans une étude menée par Perrine Ruby à l’Université de Lyon, l’équipe de chercheurs et chercheuses a décidé de comparer l’activité cérébrale de ceux et celles se rappelant leurs rêves et ceux et celles ne s’en souvenant pas. Ceux et celles ayant souvenir de leurs rêves avaient une activité cérébrale plus forte au niveau de la jonction temporo-pariétalé. Comme son nom l’indique, cette jonction se trouve aux frontières des lobes temporal et pariétal. Cette jonction est impliquée dans l’orientation de l’attention vers les stimulations extérieures. Les grand.es rêveurs | rêveuses, ceux et celles qui se souviennent de leurs rêves au réveil sont donc plus facilement réveillables. En moyenne, les grand.es rêveurs | rêveuses se réveillent deux fois plus que les autres durant une nuit. Pour mémoriser un rêve, il faut donc avoir un certain degré de conscience. Toutefois, ça ne signifie pas que les petit.es rêveurs | rêveuses rêvent moins que les grand.es.

Le rêve et la temporalité
Comment perçoit-on le temps quand on rêve ? Honnêtement, grosse question. Selon plusieurs études, le temps dans les rêves passe presque de la même façon que dans l’éveil. En 1958, un chercheur américain, William Dement, a réalisé une étude en utilisant ce qu’on appelle des jalons sensoriels. Il a exposé des sujets à des sonneries de porte et à des flashs de lumière. Puis, il les a réveillés dix minutes après. La plupart des sujets avaient intégré à leur rêve ces stimuli. Dement questionnait les sujets à propos de ce qui s’était passé dans leur rêve entre le stimulus et le réveil. Dans la plupart des cas, le scénario de leur rêve se déroulait sur une période d’environ 10 minutes. 

Depuis cette étude, les techniques se sont évidemment raffinées. Les chercheurs et chercheuses utilisent entre autres le rêve lucide. Dans le rêve lucide, le sujet peut faire des choix et poser des actions délibérément. Il peut aussi poser des intervalles de temps. L’équipe d’une étude réalisée en suisse a fait appel à ces rêveurs | rêveuses lucides. Les scientifiques leur ont demandé de compter jusqu’à 10, jusqu’à 20 et jusqu’à 30 pendant l’éveil et pendant leurs rêves. Ils leur ont aussi demandé de marcher 10, 20 et 30 pas pendant l’éveil et dans leurs rêves. Pendant le rêve, le sujet devait signaler le début de l’action par un signe oculaire pour que l’équipe puisse noter la durée de la tâche. Ils ont constaté que les tâches, surtout celles physiques, étaient plus longues dans les rêves que dans l’éveil. En moyenne, compter jusqu’à 20 prenait 17 secondes pendant l’éveil et 22 secondes dans le rêve. Alors que marcher 30 pas éveillé prenait 19 secondes et 29 secondes en rêve lucide. Évidemment, ça, c’est quand il est question de rêves lucides. Certain.es personnes en font régulièrement, d’autres attendent patiemment que leur seul rêve lucide à vie arrive.

 

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