Nous sommes plus familiers avec les films de Disney qu’avec les mythes des peuples autochtones du Canada. Pourtant, les cultures des peuples autochtones recèlent plusieurs de ces récits transmis de génération en génération. Parmi les personnages les plus célèbres, on retrouve Kwekwatshew (Carcajou), Tshakapesh et Mesh. Dans la langue montagnaise, on nomme atnõ’gen les récits qui font référence à des événements qui se sont produits dans des temps immémoriaux. Ils sont porteurs d’une mémoire ancienne et, à travers le temps, ils ont accumulé de grands pouvoirs. Si depuis des siècles les contes, les mythes et les légendes fascinent, c’est qu’ils nous propulsent dans des mondes imaginaires parfois étranges. Mais il y a plus.
Par Marilou Fortin-Guay
L’humain et les mythes
Si l’on raconte des histoires, c’est pour que notre vie soit plus sensée. Il y a quelque chose de rassurant à écouter les aventures d’un courageux orphelin affrontant des créatures hostiles pour créer le monde. Les mythes gouvernent des univers imaginaires dans lesquels sont proposés des thèmes pour la réflexion. Un super-ours, une truite qui avale des petits êtres, une femme cannibale, des gens malveillants autour d’une balançoire et un astre piégé dans un collet sont mis en scène dans le récit fondateur de Tshakapesh. Ce héros courageux muni d’un arc et de flèches est légendaire dans plusieurs nations autochtones. Dans ces histoires s’incarnent des principes propres à la condition humaine, à notre place sur terre et à notre rapport avec la nature. Pour Alexandre Bacon, conteur innu de Mashteuiatsh: « Ces principes sont véhiculés à travers ces récits et dans ce sens extrêmement importants à garder vivants ». Il y a dans les mythes quelque chose d’à la fois ancien et nouveau. Ce n’est pas un hasard si, en écoutant la légende de Tshakapesh, on ressent une certaine familiarité et s’il se crée un espace pour rêver. C’est sans doute cette liberté de suivre nos intuitions pour explorer notre monde intérieur qui me fascine. Au contact de l’imaginaire d’un autre, il revient à chacun.e de s’inspirer.
Les humains et les mythes
D’un point de vue social, les mythes sont des œuvres collectives. Ils se construisent à travers l’acte de conter et celui de se faire raconter. L’anthropologue Claude Lévi-Strauss disait : « qu’[une] histoire n’est devenue un mythe qu’à force d’avoir été entendue, répétée, entendue, répétée, réentendue et re-répétée et ainsi de suite ». La fiction ouvre la voie à rêver, et le mythe permet de le faire collectivement. L’historien et auteur Yuval Noah Harari écrivait dans son livre Sapiens : une brève histoire de l’humanité que les mythes rendaient possible la coopération à grande échelle de milliers de personnes et la naissance d’empires. De cette façon, les histoires exercent une force dans le monde. En plus d’être une manière de connecter avec notre imaginaire, les récits mythiques ont le pouvoir de modifier notre perception de la réalité.
Écouter la voix des autres
Les mythes incitent à écouter. Ils s’attachent à notre faculté d’imaginer et de donner un sens plutôt qu’à une valeur de vérité. À une époque où la science fait souvent office d’explications du monde, les mythes touchent au réel autrement que par l’expérimentation. Ces derniers capturent par l’observation l’ordre de la nature qui nous entoure. Pour l’anthropologue Rémi Savard, autant la science que les mythes sont nourris de la passion de connaître.
J’éprouve donc une admiration envers les cultures où l’histoire se raconte et échappe aux supports qui les figeraient d’une quelconque manière. C’est à la lumière d’un feu et par la bouche du conteur que se transmettent les histoires. C’est pourquoi un mythe se transforme et se présente à travers une multiplicité de variantes qui forment un réseau de connaissances. La signification d’un mythe devient véritablement accessible par la connaissance de la culture dont il garde forcément la trace et dans laquelle il prend sa source. Rémi Savard rappelait d’ailleurs l’importance de reconnaître ses limites lorsque l’on traite de l’imaginaire des autres. L’appréciation des mythes appelle à cette même humilité.
Joséphine Bacon fait de la poésie pour que les mots continuent à vivre. Si les mythes ont perduré pour se rendre à nos oreilles, c’est que des conteurs n’ont jamais cessé de les raconter. Pour les peuples autochtones de tradition orale, le support de ces récits est la parole, le gage de leur existence est la pérennité des langues. Les mythes cesseront d’exister lorsque disparaîtront les langues qui les portent.
Protéger les langues autochtones et préserver les cultures dans lesquelles elles s’inscrivent sont indispensables à la survie des contes, des mythes et des légendes issus des peuples autochtones.
« Nous sommes rares
nous sommes riches
comme la terre
nous rêvons. »
Joséphine Bacon, Bâtons à message / Tshissinuatshitakana
Pour entendre le récit de Tshakapesh raconté par Alexandre Bacon.