Porter sa pierre à l’édifice

« Les pierres qui gisent seules, juxtaposées dans un champ, ne se lèsent pas », écrit St-Exupéry dans Citadelle, « mais elles lèsent la cathédrale qu’elles eussent formée ». Ces lignes, plusieurs années après leur rédaction, sont encore aujourd’hui pertinentes et recèlent pour notre époque une prise de conscience urgente. La croissance et le développement personnels sont plus que jamais à la mode, et l’anxiété ambiante — notamment parmi nos consœurs et confrères étudiants — est le symptôme collectif d’une société qui a perdu sa cohésion.

Par Mikaël Grenier, journaliste collaborateur

La collaboration, dans nos vies de robots

Plus que jamais la rapidité et la pression de performance dictent la marche de nos vies. Nous ne sommes pas des ordinateurs ni des robots; pourtant, on nous exige la même vitesse d’opération et le fait d’être traité comme tels nous rend parfois robotiques et nous fait négliger l’aspect social de nos vies — et par social il n’est pas question des « réseaux » sociaux, qui font plutôt écran à nos véritables relations.

Cette vie nous pousse à oublier notre nature fragile et lente. En réponse à l’anxiété et à l’aliénation qu’elle génère, on nous répète sans cesse de « prendre soin de soi », de « prendre du temps pour soi », etc. On soigne le mal de vivre par le soin de sa personne. Mais si, justement, c’était cette vie individualisante, qui pousse chacun à se centrer sur sa propre personne qui nous rendait malades? Car oui, l’exaltation de sa personne — phénomène que facilitent et encouragent les réseaux sociaux — est, si paradoxal que cela puisse paraître, la dépréciation simultanée de ce qui, en nous, donne la valeur et la dignité à notre personne.

Collaborer : prendre soin de soi en prenant soin d’autrui

C’est ce qu’enseigne saint François d’Assise : « c’est en donnant qu’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se trouve ». Mais il ne s’agit pas là de renoncer à sa personne, mais plutôt de lui faire atteindre son vrai bien, qu’elle ne peut atteindre en ne passant que par le « moi ». Car la collaboration est l’exaltation suprême de nos personnes, puisque mieux vaut être une pierre qui a la dure tâche d’en supporter d’autres dans la structure d’une cathédrale, que d’être une pierre tranquille, mais insignifiante, dans un champ. Le sens de nos actions et de nos vies provient partiellement des liens que l’on bâtit, et c’est à travers eux qu’on donne de l’importance à sa personne. Il faut accepter de supporter une cathédrale, pour être pierre d’une cathédrale. C’est dans la collaboration qu’on accède au devenir, à un degré supérieur d’être, et qu’on élève vraiment sa personne — en la mettant légèrement de côté.

Malheureusement, l’air du temps pousse à se centrer sur soi et sur son propre bien. Mais une main, si importante et utile qu’elle soit en elle-même, n’est rien si elle n’est pas liée au reste du corps. Seule, elle est condamnée sinon à la mort, au moins à l’inutilité. Pour trouver le vrai sens de son existence, elle doit collaborer avec les autres parties du corps, si elle ne travaille pas avec elles. C’est d’ailleurs la signification étymologique littérale de la collaboration : dans collaborare, on peut d’abord dégager « travailler », qu’on reconnaît à la parenté entre laborare et le français « labeur »; le préfixe col- signifie simplement « avec ».

C’est donc aussi en prenant soin des autres qu’on prend soin de soi. Ainsi, chacun à l’échelle de son microcosme, collaborons !

 

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