Scream : entre hommage et critique

Le deuxième article sur les slashers aura tardé à venir, parce que, sans surprise, plus on cherche, plus on se perd. Dans un corpus incommensurable, j’ai finalement décidé de revenir à mes premiers amours en cinéma d’horreur : la série Scream. Le premier jet de cet article que vous ne lirez jamais portait sur l’ensemble de la série, j’y abordais à la fois la modification des tropes formels (voir le premier article en ligne pour se remémorer quelques termes plus techniques) et celles des tropes narratifs. C’était trop, ça s’éparpillait. J’ai donc fait table rase et j’ai décidé de faire répondre ce texte au précédent, de montrer comment le cinéma de formule peut oui, se laisser mourir à force de vider sa formule initiale de son sens, mais qu’il sait aussi s’adapter pour ne pas être dépassé.

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

Contexte de production
Les années 80 sont, pour les slashers, synonymes d’âge d’or, mais de décadence aussi, il faut le dire. Les franchises se multiplient, le nombre de victimes par film augmente, les meurtres sont plus graphiques et les scènes de nudité « gratuites » s’accumulent. Les films se ressemblent presque tous; ils ne modifient que quelques variables de la formule initiale comme la nature du tueur (enfant, robot, femme, etc.), le moment de l’année (Halloween, Noël, etc.) ou l’endroit où les meurtres ont lieu. Les tueurs sont de plus en plus déshumanisés (pour permettre leur immortalité afin de les retrouver dans les suites) et les personnages féminins sont, de franchise en franchise, toujours plus stéréotypés et sans nuances. Le « death by sex » est chaque fois d’aucune subtilité. 

La série Vendredi 13 est l’exemple par excellence de la décadence du genre. La première tueuse est une mère qui assassine des jeunes sexuellement actifs sur les terrains d’une colonie de vacances où son fils est mort noyé des années plus tôt alors qu’un jeune couple faisait l’amour plutôt que de le surveiller. L’entière franchise est basée sur la vengeance de la mère d’abord, puis sur celle du fils (supposément mort initialement). 

Au moment où Scream (1996) de Wes Craven allait sortir en salle, Halloween en était à son sixième film, Vendredi 13 à son neuvième, il pleuvait des slashers dans tous les cinémas et tous les clubs vidéo, la critique n’était pas impressionnée, le public non plus, bref, le genre s’essoufflait. Scream est venu briser ce cycle et fût le premier depuis A Nightmare on Elm Street (1984) de Wes Craven à recevoir un accueil positif généralisé. 

Par ailleurs, contrairement à la franchise d’Halloween, celle de Scream a été pensée d’abord comme une trilogie et chaque film de la série aborde un enjeu lié à l’industrie cinématographique (sexisme, censure, règne de l’argent, très légèrement le racisme). Toutefois, comme le premier est celui qui se penche le plus sur les tropes dans les slashers et que sa filiation avec Halloween est évidente, c’est sur lui que je me pencherai le plus.

Résumé et spoil
Sidney Prescott, une étudiante qui se remet encore du meurtre de sa mère survenu l’année précédente vit à Woodsboro avec son père. Un matin, à l’école avec ses ami.es, elle apprend que la veille, une de leur collègue de classe, Casey Becker, et son copain ont été assassinés par un tueur masqué. Les journalistes, les policiers et les policières ont pris d’assaut le terrain de l’école. Gale Weathers, une journaliste, est tout aussi déterminée à trouver le coupable que les agent.es de police. Quelques jours après les deux meurtres, le groupe d’ami.es de Sidney se rassemble pour une soirée de visionnement de films d’horreur. Les adolescent.es sont la cible du tueur, mais on comprend rapidement que la véritable cible est Sidney Prescott. Elle survit toutefois, tout comme Gale Weathers. Il y a donc deux final girls comme il y a deux tueurs : Billy Loomis, le copain de Sidney et Stuart, le copain de Tatum qui a été poignardée plus tôt dans la soirée.

Entre hommage et critique
Le long-métrage de Wes Craven s’inscrit dans une filiation claire avec celui de Carpenter sorti presque 20 ans plus tôt. Cette filiation s’établit par des rapports transdicursifs (ou transtextuels). En gros, la transtextualité (concept de Gérard Genette), c’est toutes les relations, qu’elles soient implicites, explicites, volontaires, involontaires, qui unissent une œuvre à une autre. 

Trêve de théorie, il y a, dans Scream, une forme de conscience filmique qui se dégage. Les personnages ne sont peut-être pas conscients qu’ils sont dans le film qu’on regarde, mais ils comprennent assurément qu’ils sont les objets d’une espèce de fantasme de mise en scène d’un film d’horreur, film d’horreur dirigé par les tueurs. Par ailleurs, c’est peut-être cette conscience filmique qui explique bon nombre des références à Halloween faites par les personnages. Les protagonistes vont même jusqu’à énumérer les « règles » non écrites qui régissent les films d’horreur (ne pas se séparer, ne pas consommer, ne pas avoir de rapports sexuels) pendant qu’ils regardent l’œuvre de Carpenter. 

 Autre preuve d’une conscience filmique évidente, vers la fin du long-métrage, après que Gale ait tiré une balle que l’on croit être fatale pour Billy, les trois survivant.es se retrouvent autour du corps de ce dernier. Randy (ami et employé du club vidéo) rappelle alors que c’est toujours à ce moment précis que le tueur se relève une autre fois pour effrayer les victimes. Une seconde passe, puis Billy Loomis lève la tête avant de se faire tirer une balle en pleine gueule par Sidney qui dit : « Not in my movie. »

Les femmes dans Scream
La principale critique que semble énoncer Williamson et Craven à l’encontre d’Halloween ou des slashers qui ont suivi, c’est la façon dont les femmes sont représentées. Je vais surtout parler des final girls, Gale et Sidney, mais dire quelques mots sur les victimes principales, ça me semble aller de soi. Casey, la première à être tuée, correspond à un certain cliché. Déjà, elle est blonde et a un corps que l’on pourrait qualifier d’attirant selon les standards de beauté de l’époque (voyez comme je fais attention au choix des mots). Ensuite, elle est meneuse de claque (j’ai vérifié, ce n’est pas du cheerleading qu’elle fait, je ne mélangerais pas les deux, promis), et elle est en couple avec un joueur de l’équipe de Football avec qui, vraisemblablement, elle entretient des rapports charnels. Toutefois, quand elle est prise au piège dans sa demeure et qu’elle est tenue de rester au téléphone avec le tueur pour répondre aux questions de celui-ci concernant les films d’horreur (autre preuve de la conscience filmique), elle montre une connaissance solide de ceux-ci. Elle a aussi le réflexe de sortir de chez elle pour aller demander de l’aide aux voisins alors que traditionnellement, dans les slashers, les premières victimes montent à l’étage et se retrouvent coincées (mais on y reviendra). Mais on s’entend qu’en dehors des univers filmiques, toutes les victimes réagissent comme elles peuvent face aux dangers et que ça ne les détermine en rien. 

Tatum, de son côté, a une sexualité encore plus admise que celle de Casey. Elle est également blonde et correspond, elle aussi, aux standards de beauté, ce qui est, encore une fois, assez classique dans les slashers. Ce qui est un peu moins classique, c’est la solidarité dont Tatum fait preuve à l’égard de Sidney qui se sait en danger. Par exemple, chaque fois que leurs amis (Billy, Stuart et Randy) blaguent à propos des meurtres, c’est toujours elle qui leur demande de se taire, parce qu’elle prend la mesure du malaise de Sidney. Elle s’offre également pour héberger Sidney alors que son père est injoignable. Elle est toutefois tuée lors de la soirée de visionnement par son copain, mais non sans avoir lutté.

La première digression de Williamson et Craven au canevas de la final girl est précisément de déboulonner le concept qui, par essence, laisse à celle qui survit une solitude importante face aux événements traumatiques, parce qu’aucune de ses amies n’y survit. Ce concept, le scénariste et le réalisateur le détournent en décidant d’avoir deux survivantes plutôt qu’une seule, ce qui peut nous laisser espérer une meilleure réhabilitation, parce qu’il ne faut pas l’oublier, si elles sont survivantes, elles sont aussi victimes. 

Sidney et Gale ne sont pas de parfaites héroïnes au sens où il leur arrive de se faire prendre par des tropes, mais la plupart du temps, elles arrivent à les contourner ou à se justifier de ne pas le faire. Par exemple, assez tôt dans le film, Sidney est la cible d’une première attaque. Au départ, lorsqu’elle est au téléphone avec le tueur, elle pense qu’il s’agit d’un canular de la part de l’un de ses amis. Elle dit alors au tueur que les slashers sont risibles à montrer des jeunes femmes « aussi stupides » qui, chaque fois qu’elles se font pourchasser, plutôt que de sortir de la maison, elles choisissent de monter à l’étage même s’il n’y a aucune échappatoire. Pourtant, quelques instants plus tard, c’est Sidney qui, avec le tueur à sa poursuite, tente de se réfugier à l’étage. Faire monter Sidney à l’étage est évidemment une décision scénaristique qui sert à faire monter la tension et contribue ainsi à l’ambiance de film d’horreur. Mais pour ne pas disqualifier les propos tenus par Sidney quelques secondes plus tôt, les scénaristes la font se rendre à la porte avant, mais celle-ci est littéralement barrée à double tour. 

Culturellement, la maîtrise des armes à feu est associée aux hommes. Il n’est donc pas rare de voir dans un film populaire une femme se faire prendre par le cran de sécurité mis en place et être incapable de tirer pour cette raison le moment voulu; c’est un trope irritant tellement il est prévisible. Lorsque Gale tente de tuer Billy Loomis, elle oublie de vérifier que le fusil est bel et bien prêt à être utilisé. Elle est donc incapable de tuer Loomis et celui-ci reprend l’arme et assomme la journaliste. On pense alors que le trope est respecté, mais quelques minutes plus tard, Billy Loomis est sur le point de poignarder Sidney quand finalement, Gale se relève et tire le jeune tueur. À ce geste, elle ajoute : « cette fois, j’ai enlevé le cran de sécurité, bâtard. » Toutefois, il faut dire que c’est un ex machina un peu désolant sur le plan narratif.

Le sexe, le sexe, ce n’est pas une raison pour se faire tuer
Dans l’article sur Halloween, j’avais expliqué ce qu’était le « death by sex » et qu’il constituait le trope le plus central du slasher. En gros, le « death by sex », c’est cette idée qu’une femme sexuellement active a plus de chances de se faire tuer alors que la virginale devrait normalement être la final girl. Et au départ, Scream ne semble pas échapper à ce schéma alors que ses deux premières victimes sont explicitement actives sexuellement et Sidney, qu’on devine vite être la final girl, est vierge au début du récit. 

Contre toute attente peut-être, Sidney finit par perdre sa virginité avec Billy Loomis. Elle demeure tout de même la final girl (ou l’une d’elles). Plus encore, c’est précisément cette subversion du trope qui mènera les deux tueurs à leur perte, parce qu’ils sont convaincus que comme Sidney a eu une relation sexuelle, qu’elle est condamnée à mourir. Donc non seulement, la final girl de Craven et Williamson n’est pas virginale, mais en plus, c’est sa sexualité qui la sauve d’une certaine façon.

Bien que considéré comme un film d’horreur, Scream jongle autant avec l’humour qu’avec le gore. Les scénariste et réalisateur se moquent bien des clichés du genre, et le « death by sex » n’est pas épargné par cet humour. On peut penser à la scène finale alors qu’on croyait Randy, personnage un peu solitaire et geek, mort, celui-ci se lève en disant : « Je n’ai jamais été aussi content d’être vierge. » On pousse un peu à l’extrême le « pouvoir de la virginité » qui, règle générale, n’assure une immunité qu’aux personnages féminins. 

Le féminisme payant
Halloween de John Carpenter et Scream de Wes Craven semblent se faire échos. Les deux films sont des tournants du slasher; le premier a, sans le vouloir peut-être, imposé les codes du genre, le second les a compris et a tenté de jouer avec eux. Scream connaissait les reproches qu’on faisait au genre et avait donc toutes les cartes en main pour bouleverser le canevas établi. Il l’a fait en partie, c’est vrai, mais il aurait assurément pu aller plus loin. Oui, ses personnages féminins sont plus nuancés que dans les franchises précédentes. Ils ont une plus grande agentivité et peuvent à la fois avoir une sexualité active et être représentés « dignement ». Il reste que les femmes de Scream sont encore beaucoup positionnées par rapport aux hommes. Elles sont aussi frappées de plein fouet par plusieurs clichés : les final girls sont brunes, la détermination de Gale est souvent montrée comme n’étant pas « raisonnable » et malgré la perte de sa virginité, Sidney reste très prude et semble n’être pleinement à l’aise que dans la sphère privée. 

Si par ses deux lectures principales qui se justifient aussi bien l’une que l’autre, Halloween peut satisfaire à la fois les défendeurs et défenderesses d’une idéologie conservatrice que ceux et celles à l’idéologie plus progressiste, il est fort à parier que l’équipe de Scream ait usé de la même stratégie discursive : la négociation des attentes. En gardant un pied dans la norme et un pied dans la marge, les deux franchises se sont assurées de plaire au plus grand nombre.

On peut alors se demander ce qu’a pour effet une telle stratégie discursive. D’une part, on peut penser qu’elle permet à certaines valeurs comme le féminisme dans ce cas-ci de se tailler une place là où on ne l’attendrait pas et ainsi, de progresser dans ses luttes. Des films comme Scream ou même Halloween permettent donc la formation de nouvelles normes quant à la représentation des femmes à l’écran. Or, l’utilisation marchande des valeurs ou des luttes sociales a aussi comme effet de les aseptiser, de les vider un peu de leur sens initial et donc, de leur pouvoir.

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