Chaque année, les grands développeurs de jeux nous en font voir plein la vue avec leurs nouveaux titres. Présentant des univers plus grands avec des cartes s’étendant sur des centaines de kilomètres avec toujours plus de choses à faire et à voir, des graphiques photoréalistes rendant leur monde davantage crédible et même des acteur.rice.s donnant vie aux personnages, les gros joueurs de l’industrie prennent les grands moyens pour attirer les client.e.s. Ces productions demandent cependant des millions de dollars et le travail de centaines d’employé.e.s pour voir le jour, ce qui pousse les petits studios à prendre une autre approche qui demande innovation et créativité.
Par Ludovic Dufour, chef de pupitre société
Malgré des ressources réduites par rapport aux publications triple A (terme qui désigne les jeux bénéficiant des plus grands budgets de production et de marketing, tels que Battlefield ou God of War), plusieurs jeux indépendants parviennent à se faire une place sur le marché. Minecraft est évidemment l’histoire à succès par excellence, mais on retrouve aussi Terraria, Shovel Knight, Celeste, Stardew Valley, Valheim ou Undertale qui, bien que réalisés avec des moyens modestes, ont su se distinguer. Ce phénomène est à souligner, car on parle tout de même d’équipes constituées d’une poignée de développeur.se.s qui parviennent parfois à une meilleure réussite que des studios en regroupant des centaines.
Pourtant, l’industrie est pleine à craquer. En effet, Statista dénombre 10 696 jeux publiés sur la plateforme Steam en 2021. Comment, dans ce contexte regroupant forte compétition et concurrents disposant de nombreuses ressources, tirer son épingle du jeu quand l’on n’est qu’une dizaine d’employé.e.s ?
À cette question, l’équipe de Polymorph Games répond qu’il faut faire beaucoup avec peu et surtout prendre le risque d’innover. Pour avoir une chance, les jeux indépendants doivent se démarquer de la compétition, offrir quelque chose de nouveau. Bien que ces compagnies ne disposent pas des meilleurs budgets qui leur permettraient d’implanter des tonnes de fonctionnalités, se concentrer sur un seul élément distinctif et non pas sur un amalgame d’idées leur permet d’offrir ce contenu original.
Berzerk Studio rejoint en partie ce point lorsqu’il concède ne pas pouvoir aborder une grande variété de projets, mais il parvient à se spécialiser dans les titres 2D. Se développer une expertise particulière permet une meilleure efficacité et se concentrer sur ce que le studio fait de bien permet de faire ressortir les qualités d’un jeu.
Ces approches ne signifient pas pour autant que ces studios sont condamnés à n’approcher que des jeux de faible envergure. Bien qu’au niveau du nombre d’employé.e.s et des budgets ce soit un peu le cas, des démarches novatrices demandent une certaine dose d’ambition et repoussent souvent les limites du domaine. Certes, les jeux ne pourront pas égaler leurs compétiteurs sur bien des aspects, mais leur originalité et l’audace de leurs créateur.rice.s parviennent à remplacer des graphiques moyens, un petit monde ou une faible durée de vie. On retrouve donc souvent de petits jeux, comparativement au triple A, mais de grandes ambitions.
Le développement en studio indépendant offre aussi plusieurs avantages. D’abord, la liberté des créateur.rice.s qui ne se retrouvent plus attaché.e.s à la moindre contrainte, permettant d’utiliser pleinement leur imagination pour concevoir comme iels le désirent.
Ensuite, l’organisation devient fort simplifiée. D’immenses départements se retrouvant à travailler de manière isolée sont remplacés par quelques employé.e.s qui communiquent bien plus facilement ensemble et permettent aux différents éléments de s’influencer. La prise de décision s’en trouve également accélérée. Il y a aussi une capacité accrue à modifier rapidement un projet. Si un élément ne marche pas comme il le devrait, il peut être changé facilement ou simplement abandonné. On peut donc aisément changer de cap et se réajuster, là où les plus gros joueurs n’ont pas autant de flexibilité.
Le fait d’avoir une plus petite équipe et donc moins de dépenses facilite également cette flexibilité. Trois mois de travail à refaire restent pénibles, mais coûtent bien moins cher. L’équipe de Berzerk parle même d’un stress moins important, car les coûts de production étant moindres, si un jeu marche moins bien, les effets négatifs seront moins importants.
Mike Ducarme de Berzerk Studio parle aussi de l’esprit de famille, bien qu’il déteste l’expression empruntée par les multinationales de milliers de travailleur.euse.s. Il faut admettre que travailler dans une petite entreprise crée forcément des liens. Il ajoute que c’est une bonne chose, car les créateur.rice.s se font confiance entre eux et elles et chacun.e sait qu’iel peut se fier au travail des autres.
Tout n’est cependant pas rose et les obstacles sont nombreux pour les studios indépendants. Les moyens financiers posent évidemment problème, sans soutien d’un.e éditeur.rice, il faut trouver d’autres sources d’argent pour commencer un projet. Parfois, des entrepreneur.euse.s vont payer de leur poche, contracter un prêt dans une banque ou se fier au financement participatif pour compenser. Cette dernière option a été utilisée par Polymorph Games pour financer la création de son jeu Foundation.
Les deux studios relèvent aussi des difficultés au niveau de la main-d’œuvre. Recruter représente un réel défi dans le milieu de la technologie et la compétition y est féroce. Attirer du personnel expérimenté se fait en concurrence directe avec les plus grands studios et les développeur.euse.s peu expérimenté.e.s demandent une formation qui est compliquée à fournir à l’ère du travail à distance. Les équipes réduites mènent à des temps de développement plus longs. Cette réalité pousse également les employé.e.s à prendre plusieurs rôles dans l’entreprise. Un.e développeur.euse peut se retrouver à faire le marketing et le financement, ce qui laisse ces domaines entre les mains de personnes finalement peu qualifiées.
Évidemment, ces problèmes en viennent à affecter les jeux et parfois, il faut tourner les coins ronds. Ainsi, on abandonne les graphiques dernier cri, les acteurs et actrices d’Hollywood, le doublage, les mécaniques secondaires et la qualité d’animation. On se résout régulièrement à des styles graphiques plus simples, ce qui peut avoir un certain charme. D’autres se penchent encore vers le rétro où le style 16-bit apporte parfois un aspect nostalgique.
Heureusement, les aides deviennent plus accessibles pour les studios indépendants note Polymorph Games. Des programmes de financement et d’accompagnement comme le programme CATAPULTE (le studio a d’ailleurs remporté l’édition 2017) donnent une chance aux entreprises locales de se tailler une place dans l’industrie.
Finalement, malgré les innombrables défis que doivent surmonter les studios indépendants, ils parviennent à peupler l’espace vidéoludique de nouveautés rafraîchissantes. Alors que les grands de ce monde multiplient les suites de séries vieilles de 20 ans, vendent du contenu additionnel, et ne font preuve d’inventivité que par leur manière de réinventer la microtransaction, les petits osent modifier la formule, inventer, innover, autant par nécessité que par passion.
Bon, je suis peut-être un peu sévère envers les triples A. Après tout, on ne peut nier leur succès et les qualités de jeux comme Red dead redemption 2 ou The Last of Us, mais trop souvent, on se contente de répéter bêtement la même chose sans apporter de neuf. Par moment, on semble même empiler des mécaniques au hasard dans l’espoir que quelque chose de bon en sorte, à l’image de Ghost Recon Breakpoint qui a essayé d’ajouter des éléments RPG à un jeu de tir tactique pour donner un résultat incongru et fade.
L’originalité qui transforme un simple jeu en une expérience que l’on gardera avec nous longtemps après avoir déposé la manette n’apparaît plus autant dans les grands titres de l’année que dans les petits bijoux au graphique pixélisé, réalisé par quelques passioné.e.s.