Petite géographie fragmentée

Paradoxalement, tout semblait aller pour le mieux dans le monde étudiant, le 24 mars 2005. Certes, 103 M$ avaient été coupés dans les prêts et bourses, mais 5000 personnes étaient sorties dans les rues de Québec, ce jour-là, pour le dénoncer. Le mouvement étudiant était en marche vers une victoire.

La situation est bien plus critique aujourd’hui. Nous avons le même gouvernement, qui a pris sa revanche en augmentant les frais de scolarité de 500$ sur cinq ans. Pilule retorse, plus facile à faire avaler qu’une diminution des prêts et bourses, qui touche directement les étudiants les moins fortunés. Une pilule que nous avons avalée avec à peine une grimace de dégoût. Aujourd’hui, la porte est ouverte à toutes les hausses, nous sortons d’une campagne électorale québécoise où l’éducation postsecondaire a été complètement occultée et, pour compléter le tableau, le psychodrame à Ottawa rend les transferts fédéraux en éducation plus hypothétiques que jamais.

Mais la situation est d’autant plus grave aujourd’hui que les étudiants sont incapables de s’unir et d’engendrer un mouvement de protestation ou de revendication. D’abord, parce que les instances qui nous représentent sont divisées et incapables de coalitions ponctuelles. La tentative de grève de l’automne passé, contre le dégel, est éloquente. Alors qu’en octobre, l’ASSÉ travaillait activement à une grève qui n’eut que peu d’écho, la FEUQ faisait de la représentation avant d’en appeler à cette solution ultime. Quant aux dizaines d’assos membres de la CADEUL, elles prenaient toutes des positions individuelles. Oui, beaucoup d’étudiants trouvaient qu’il était tôt, après 2005, pour retourner en grève; d’autres étaient d’accord avec le dégel; mais cela n’explique pas tout. Plusieurs ont été découragés parce que le mouvement était chaotique et tardif.

À la suite de la grève de 2005, le versant «pragmatique» du mouvement étudiant, dont la plus grande partie était représentée par la FEUQ, s’est scindé. La CADEUL s’est désaffiliée en raison du manque d’écoute des dirigeants feuquiens à l’égard des réformes qu’elle jugeait nécessaires (voir le texte en p. 5). On nous promettait que le mouvement étudiant n’en souffrirait pas en faisant valoir une coalition régionale, le FRAEQ, dont on n’a pas entendu parler longtemps. Que l’ASSÉ, la voie «idéaliste», qui remet en question le système même de la société, ne fasse pas front commun avec les autres, semble naturel. Ses principes directeurs sont différents de ceux de la CADEUL et de la FEUQ, qui privilégient souvent les mêmes solutions : gel des frais de scolarité, indexation des dépenses admises aux prêts et bourses, etc.

Comment peut-on avoir de la crédibilité auprès des gouvernements lorsqu’on téléphone séparément au bureau de la ministre de l’Éducation, ou lorsqu’on ne se regroupe pas pour appeler sa base à la mobilisation? Lorsqu’on réclame peu ou prou la même chose, tout en refusant de se parler?

Loin de moi l’idée de réclamer un ralliement massif à la FEUQ. Suffisamment d’anciens exécutants cadeuliens ont fait valoir les problèmes en son sein pour que l’on soit convaincu que ce n’est pas la solution, surtout que le mouvement de désaffiliation s’est accru par la suite, laissant croire que les prises de conscience ne fusent pas dans les bureaux montréalais. Mais il faudra trouver de nouvelles voies, car la configuration actuelle des forces en présence n’est visiblement pas une réussite. Personne n’atteint ses objectifs, et il est nécessaire qu’un mouvement national se remette en place, considérant que l’éducation postsecondaire perd sans cesse du terrain dans les préoccupations des Québécois et du gouvernement, au profit de la santé. Une reconstruction du mouvement devra être plus profonde que le pardon des rancoeurs datant d’il y a trois ans.

Toutefois, voilà aussi où il faut en venir : tout n’est pas une question d’exécutifs. On doit également se questionner sur l’état de la base étudiante, vous, moi et le reste. Quelle est sa volonté? S’il est une chose que le mouvement étudiant tente de faire oublier à tout prix, c’est qu’il existe une frange de la population étudiante qui n’est plus si certaine de viser le gel. Pensons aux jeunes libéraux, qui proposaient en début d’année de tripler nos frais de scolarité, ou à certaines associations lavalloises qui ont adopté des positions en faveur d’un dégel. Que l’on soit d’accord ou pas avec cette vision des choses, il existe un courant, qui n’est pas si marginal, remettant en question la position généralement acceptée au sein des associations étudiantes. Et il n’est pas seulement présent chez les dirigeants d’université.

Peut-être la géographie esquissée ne fait-elle que refléter le désintérêt de sa base pour les enjeux traditionnels en éducation postsecondaire. Cette montée d’un courant de pensée qui prend l’économie pour veau d’or, qu’on sent s’accroître au Québec et au Canada depuis quelques années, a aussi ses adeptes parmi les étudiants. Une raison de plus pour refonder le mouvement étudiant.
 

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