On le sait, le système de gestion de l’offre au Québec sert à protéger nos producteurs laitiers contre la compétition internationale. Sans elle, des milliers d’emplois pourraient disparaître dans ce secteur de l’économie. On le voit, nos politiciens, tous partis confondus, la défendent mordicus. Force est de constater qu’il en va de même pour l’opinion publique. Mais encore.
Qu’en est-il de ce fameux système ? Quand et pourquoi a-t-il été mis en place, et est-ce qu’il est encore valide à l’ère du libre-échange ? On pointe du doigt Donald Trump avec ses mesures protectionnistes. Or, nous défendons la nôtre sans remarquer la moindre ironie. Essayons de comprendre avant de se positionner.
Origines
La politique qui a mené à l’implantation de ce système est née dans les années 60, alors que l’interventionnisme étatique était encore à la mode. Menacés d’extinction par un voisin au sud qui pouvait produire beaucoup plus, pour moins cher dans les secteurs de la volaille et des produits laitiers, les agriculteurs québécois et canadiens ont fait pression sur leurs gouvernements pour qu’il les protège contre la dépréciation des produits locaux due à la surabondance de l’offre américaine.
Après plus de 10 ans d’efforts, ils ont obtenu gain de cause avec l’implantation d’un système de gestion de l’offre en 1972.
Mécanisme
Le nom l’indique, il s’agit de contrôler l’offre en imposant des quotas de production, ce qui crée une rareté, ce qui maintient les prix plus élevés. Il s’agit aussi de restreindre l’importation des produits laitiers et de volaille avec un quota à tarif douanier faible, soit 7,5% dans le cas du lait. Passé la limite, les tarifs douaniers montent plus que radicalement, 241% dans ce cas.
Ainsi, en maintenant des prix plus élevés par la limitation de la quantité offerte de lait, œufs, fromage, etc. à travers le pays, les producteurs canadiens s’assurent des revenus stables et la menace américaine est contrôlée.
Les mots « menace américaine » n’ont rien de subjectif. Il faut comprendre que la plus grosse économie mondiale dispose d’une population de plus de 300 millions d’habitants. Leurs entreprises colossales en volume, en accès à beaucoup de capital, leur permettant de se doter de technologies plus sophistiquées. Et qui dit progrès technique, dit capacité à produire plus à moindre cout. Ainsi, non seulement les États-Unis n’éprouvent aucun problème à fournir à leur propre demande (population), aussi sont-ils capables de fournir à celle de leurs voisins, en l’occurrence le maigre 36 millions de Canadiens.
Les effets
Il va sans dire que les gagnants dans l’équation sont les producteurs canadiens. Cependant – les détracteurs de la gestion de l’offre vous le diront – les consommateurs y perdent. Comment et à quel point ?
En 2015, dans l’Université du Manitoba, des chercheurs ont établi un différentiel de prix allant de 30% à 60% avec les États-Unis dans les produits laitiers et de la volaille. Bon, 1,22$ (prix É.-U. pour un litre de lait) plus 30% ne font pas une grande différence au bout du compte. En effet, pour les ménages les plus aisés, mais plus le revenu diminue, plus la part accordée à ces produits augmente, ce qui participe à la pression exercée sur les moins fortunés en ce qui a trait à l’alimentation et les pousse à opter pour des substituts qui de toute façon échappent au système, comme la margarine et le lait dia filtré.
En chiffres, selon l’étude ci-haut mentionnée, le système de gestion de l’offre canadien implique une perte de 2,29% du revenu des ménages les plus pauvres, contre 0,47% pour les ménages les plus riches. Bien que faible, il s’agit tout de même d’un facteur d’accroissement des inégalités.
Aussi, un système qui réduit la concurrence réduit par le fait même la recherche d’innovation, d’efficacité et le développement de nouveaux produits. Combinés aux prix plus bas, ce sont les principaux avantages d’un marché concurrentiel envers un marché monopolistique.
Un choix de société
Au final, à la lumière des faits économiques, le système de gestion de l’offre crée plus de perdants que de gagnants. Mais puisque les consommateurs, nombreux, perdent peu, alors que les producteurs, faibles en nombre, gagnent beaucoup, les consommateurs ont moins intérêt à l’attaquer que les producteurs l’ont à le défendre. C’est normal.
Aussi, lorsque vient le temps de prendre position, un citoyen doit considérer d’autres éléments que ceux économiques. Ce système permet de maintenir vivante l’entreprise familiale au Québec, ce qu’il ne faudrait pas négliger. Le libre échange entraine aussi plus de transport de marchandises sur une plus grande distance, en plus d’encourager les entreprises à gros volume bien plus polluantes.
Ne pas considérer l’économique ne vaut pas mieux que d’ignorer les valeurs sociales et environnementales. Mais doit-on vraiment faire le choix entre l’un ou l’autre ? La gestion de l’offre canadienne est-elle réellement le seul système qui permette de protéger nos entreprises locales ? Au lieu de nous attarder sur un faux dilemme, pourquoi ne cherchons-nous pas à innover ? Je doute qu’il soit tant irréaliste de trouver un système qui peut satisfaire toutes ces exigences, il faut cependant mettre l’énergie au bon endroit.