Chronique sur la colline
Rosalie Readman
rosalie.readman.1@ulaval.ca
L’ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard était dans tous les médias cette semaine pour faire la promotion de son nouveau livre «Lettres à un jeune politicien». Sur l’objectif, le propos de Bouchard n’a rien de très tendancieux : encourager la plus jeune génération à s’impliquer davantage en politique.
Mais sur les circonstances, les réactions fusent de partout et j’avoue avoir eu moi-même la réflexion suivante : Quoi ! C’est le président du conseil d’administration de l’Association pétrolière et gazière du Québec qui vient nous dire la manière dont nous devrions participer au débat public et exercer notre implication politique ? Cette même personne qui, lorsqu’on lui émettait une critique similaire en commission parlementaire s’est carrément mis à hurler après les gens ?
«Vous n’avez aucun droit ! Il est dehors de ses pompes lui», avait lancé M. Bouchard à propos d’Amir Khadir qui avait osé le questionner sur son rôle de premier lobbyiste pour les «grandes corporations et multinationales étrangères». Son offuscation semblait presque pratiquée d’avance tellement elle était peu naturelle et exagérée.
Lucien Bouchard est sans aucun doute un des grands premiers ministres que le Québec ait connu et sa carrière ne se résume pas à son travail actuel pour les compagnies de gaz de schistes. Toutefois, voir un homme qui prend si mal la critique sur sa «forme» d’engagement politique remettre en cause les intentions d’une partie de la jeunesse en raison de leur propre « forme » d’engagement me laisse perplexe.
Car il faut le dire, au travers des entrevues pour la promotion du livre, ça «accroche à plusieurs places» sur la jeunesse et cette «forme», ou plutôt sur ce qu’elle devrait être ou ne pas être. La citation la plus frappante de Lucien Bouchard à cet effet est probablement tirée de son entrevue à l’émission les francs-tireurs : «(La rue) Je ne trouve pas que c’est un instrument démocratique, je ne trouve pas que c’est une façon convenable de provoquer les décisions de l’État. Parce que c’est seulement ceux qui marchent qui obtiennent ce qu’ils veulent et ceux qui ne marchent pas ne l’auront pas».
Cet ancien premier ministre exhorte les jeunes à investir la sphère politique mais a-t-il essayé de comprendre sincèrement leur exaspération, du moins celle de ceux qui sont descendus dans la rue dans les derniers mois? Pour plusieurs étudiants descendus dans la rue, c’était le refus de rencontrer les leaders étudiants pendant les deux premiers mois de crise qui étaient peu démocratiques. Pour eux, l’irresponsabilité est que certains groupes privilégiés (comme les lobbyistes des sociétés gazières et pétrolières représentées par M. Bouchard) aient accès si facilement au gouvernement alors qu’eux non. Que la rue, c’était juste un moyen, une tentative pour essayer d’être traité plus équitablement, d’avoir le droit à une écoute de la part du gouvernement, comme tous les autres groupes dans la société finalement.
Si la plus jeune génération a beaucoup à apprendre du grand homme politique qu’est encore aujourd’hui Lucien Bouchard, il ne serait pas mauvais pour lui de tendre un peu plus l’oreille. Cela lui permettrait sans doute de comprendre mieux leurs motivations et lui éviterait peut-être de sortir trop rapidement un terme peu fondé tel qu’«agenda anarchiste» dans l’avenir pour les décrire.