Fermez les yeux et imaginez la scène. C’est un plan séquence, la lumière est grise, un peu tamisée. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’homme n’émet aucun son, pas même un pleur, seul un silence lourd sort de tous les pores de sa peau. Il a à peine 25 ans, il sait qu’il n’en vivra pas plus. La corde au cou, la lame de rasoir au poignet, peu importe, il y mettra fin à cette vie, celle qu’il ne voit plus gorgée de possibilités, mais plutôt le trainant vers les bas-fonds de la douleur. Ce jeune homme, c’est peut-être votre ami, votre frère, votre fils ou vous-même, qui sait.
Tout ça aurait peut-être été évité si, à 15 ans, son collègue de classe ne l’avait pas ridiculisé devant tous les autres élèves. Ou bien si à 17 ans, on avait cessé de le traiter de « criss de gay », ne sachant pas qu’il l’était vraiment. Ou encore si, à 20 ans, ses parents l’avaient appuyé lorsqu’il révéla son homosexualité. Ou bien, à 24 ans, si sa colocataire lui avait demandé si tout allait bien lorsqu’il est rentré chez lui en pleurant. Ces simples détails lui auraient probablement sauvé la vie.
La semaine dernière, vous avez été plusieurs à parler de ce fameux épisode de la série 19-2 qui mettait en scène de façon très véridique une fusillade ayant lieu dans une école. Bien que plusieurs aient été choqués par la scène, on a tous félicité le génie de cette réalisation qui montrait la réalité de ce genre de drame. En sommes-nous vraiment rendus là ? Faut-il réellement montrer les choses de cette façon pour faire réagir ? Faudrait-il produire un épisode tragique portant sur le suicide pour anéantir ce tabou ? Car malheureusement, aujourd’hui, c’est si dur de parler du suicide qu’on oublie de le faire.
Probablement que le jeune homme de 25 ans, au moment de taillader ses veines ou juste avant de prendre son dernier souffle, aurait voulu qu’on le voit ainsi, qu’on le sauve, qu’on sauve d’autres vies. Peut-être qu’il a pensé à ses amis, à sa famille et à toutes les choses qu’il laissait derrière. Peut-être aussi leur en voulait-il de ne pas l’avoir entendu souffrir. Mais peu importe ce qui a pu lui passer par la tête à ce moment, il n’en demeure pas moins que seule sa dépouille gisait pendue ou dans une mare de sang.
Bonne semaine de prévention du suicide.
Hubert Gaudreau