Il a fallu que je tombe sur un article de Radio-Canada pour constater ce qui était pourtant une évidence, soit que la totalité – sauf deux, et nous y reviendrons plus tard – des pavillons de l’Université Laval porte le nom d’hommes. La nomination d’une première rectrice semble un moment politique parfait pour y remédier.
Qui sont les deux femmes ayant un pavillon à leur nom sur le campus ? Agathe Lacerte, première femme à faire partie du corps enseignant de l’Université Laval, a donné son nom à une résidence d’abord fondée pour les étudiantes, comportant notamment une garderie. Le second pavillon abrite les locaux de l’AELIÉS et porte le nom de Marie Sirois, la première diplômée lavalloise.
Il est d’abord particulier, mais compréhensible – bien que condamnable – d’un point de vue social, que peu d’infrastructures portent aujourd’hui le nom de femmes d’exception. Cela l’est d’autant plus lorsqu’on considère que ces deux pavillons ont des fonctions qui rappellent le travail de care et non la recherche scientifique.
Inverser la roue
Bien qu’un changement de nom ne renversera pas l’ordre du monde, il est grand temps de réparer la sous-représentation des femmes dans le récit de notre histoire collective, et la toponymie est une des façons d’y arriver.
Mais alors, par où commencer ? Certains pavillons de l’Université Laval portent des noms génériques, comme la tour des Sciences de l’éducation. D’autres sont liés à des acteurs du privé et des donateurs. Si l’on ne peut probablement pas débaptiser les bâtiments qui portent les marques des partenariats économiques de l’Université, la jumelle du Félix-Antoine-Savard serait toute désignée pour honorer Jeanne Lapointe, ayant défendu l’éducation laïque contre les positions du père Savard.
Il semble que pour y arriver, il faudra passer par un comité de révision de la toponymie. Des positions en ce sens pourraient toutefois être adoptées par les associations étudiantes, augmentant la pression sur l’administration universitaire.
Jeanne Lapointe, l’oubliée de la commission Parent
Jeanne Lapointe a été professeure au Département des littératures (maintenant de littérature, théâtre et cinéma) de l’Université Laval de 1944 à 1987. Première diplômée de la Faculté des lettres, elle prônait déjà en 1958 une éducation universelle et accessible, dans un univers encore largement élitiste, clérical et masculin.
L’un de ses plus grands faits d’arme est sa participation à la commission Parent. Paradoxalement, on entend trop rarement parler de la présence de Lapointe sur le comité, alors qu’elle est reconnue par d’autres participants comme la principale auteure de la réforme de l’éducation au cœur de la révolution tranquille.
Un ouvrage paru en 2013 (Jeanne Lapointe, artisane de la révolution tranquille. Éditions Tryptique) retrace l’ahurissant parcours de l’intellectuelle québécoise. Ce travail de mémoire est nécessaire, considérant que Jeanne Lapointe aura passé une bonne partie de sa vie dans l’ombre – comme plusieurs de ses homologues – malgré un engagement marqué et des idées révolutionnaires.
Dessine moi une scientifique
Une étude récente faisait état des préjugés présents chez les jeunes américains, à qui l’on demandait de dessiner a scientist. On parle de 20 000 dessins de jeunes de 5 à 8 ans, résultat de 78 études réalisées au cours de cinq décennies. Sans trop de surprise, une large majorité des enfants – tant les garçons que les filles – a dessiné un homme (28 % de femmes aujourd’hui contre 1% en 1960, année de la première étude).
Encore plus fascinant : autour de cinq ans, les enfants dessinent des scientifiques des deux sexes avant de progressivement intégrer des stéréotypes. À sept ou huit ans, l’écart se creuse pour se consolider autour de 15-16 ans (75 % des filles et 98 % des hommes dessinent un garçon).
Aussi petit ce geste peut paraitre, honorer la mémoire d’une figure de proue de l’intellectualisme québécois est un premier pas dans le but de briser les stéréotypes.
*** Erratum : Dans la version papier, Marie Sirois, première diplômée de l’Université Laval est confondue avec Marie Sirois, la « femme la plus forte du monde », exilée aux États-Unis au tournant du siècle. L’auteur de ces lignes s’en excuse.