[Écho du campus] Say their name

Ceci est une lettre ouverte de Camille Garon, étudiante en science politique et journaliste à Impact Campus.

Les dernières nouvelles provinciales et nationales, ont bouleversé tout le monde : le procès d’Alexandre Bissonnette et le drame survenu à Toronto.

Remettre les pendules à l’heure

Plusieurs d’entres vous lisez les articles des journaux parlant du procès d’Alexandre Bissonnette. On y apprend des nouvelles très bouleversantes. L’article du quotidien Le Soleil paru le 16 avril dernier expliquait que le tireur avait fait des recherches sur des tueurs de masses. Il s’est notamment inspiré de Dylann Roof, un suprémaciste blanc qui a assassiné neuf afro-américains dans une église à Charleston en Caroline du Sud.

Ce qui m’a heurté le plus est toutefois lorsque je vois dans l’article « Le tireur avait aussi ciblé le comité Féministes en mouvement de l’Université Laval (FÉMUL) ainsi que le Comité des Femmes de la même institution. Bissonnette s’intéressait notamment aux événements inscrits à la programmation de ces comités féministes ». J’étais à cette époque une des exécutantes.

Une semaine plus tard, le Journal de Québec publie le 23 avril ses autres idées de « carnage » à l’Université Laval ou à la Place Laurier. Malgré ces terribles annonces et leurs conséquences potentielles, il est important de se rappeler que les cibles atteintes sont bel et bien les victimes, les veuves, et les communautés musulmanes dont plusieurs membres vivent encore aujourd’hui dans la peur.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir peur ; c’est un sujet sensible et je suis fière de voir la solidarité et le soutien de tous, mais je crois qu’il ne faut pas dériver le sujet, considérant que plusieurs ne connaissent probablement pas non plus l’identité des six victimes de l’attentat de Québec. Je souhaite utiliser cette plateforme pour reconnaître leur nom :

Azzedine Soufiane était Propriétaire de la boucherie Assalam, originaire du Maroc.

Khaled Belkacemi était un professeur à l’Université Laval et vient de l’Algérie.

Karim Hassan était analyste programmateur au centre des service partagée du Québec, originaire de l’Algérie.

Aboubaker Thabti était un pharmacien de formation originaire de la Tunisie

Mamadou Tanou Barry venait de la Guinée et travaillait comme comptable.

Ibrahim Barry était agent de la RAMQ et originaire de la Guinée. 

De plus, des survivants, des veuves et des familles ont raconté leur traumatisme et leur cauchemar à la suite de cette atrocité. Il est vrai que les nouvelles sont terrorisantes et même sanglantes à l’idée que nous aurions pu être une cible, mais notre solidarité et notre soutien doit se tourner vers les communautés visées. J’aimerais aussi porter une attention envers les parents d’Alexandre Bissonnette et de son frère qui vivent une tourmente depuis l’acte de ce dernier.

Deux poids, deux mesures ?

En lisant les articles sur le procès, j’ai eu la chance de tomber sur un texte que je conseille à tous de lire, écrit par Marie-Eve Cotton et intitulé Une compréhension à géométrie variable. La psychiatre de l’institut universitaire en santé mentale de Montréal et professeure adjointe tente de nous amener en réflexion sur la façon dont nous réagissons face aux nouvelles. J’ai été attiré par l’extrait suivant :

« Toutes ces questions m’invitant à disséquer le mal-être de Bissonnette, me les aurait-on pareillement posées si le tireur s’était appelé Abdallah Ahmed-Chaouch (nom fictif) et qu’il avait tiré sur des fidèles dans une église en criant « Allah ! » ? Aurais-je servi de la même manière à expliquer aux gens la souffrance personnelle de cet individu ? À évaluer si un antidépresseur a pu précipiter sa tuerie ? N’aurait-on pas plutôt convoqué des spécialistes pour discuter de terrorisme et d’extrémisme religieux ? Aurait-on parlé, sur toutes les tribunes et dans tous les forums de discussion, des médicaments que prenait Abdallah Ahmed-Chaouch ? »

«Or, il est important de réaliser que Bissonnette est une image en miroir des tueurs islamistes. Ceux-ci ne sont pas moins désespérés, apeurés, perdus, et habités d’une colère qui cherche un objet sur lequel se déverser (c’est d’ailleurs ce qui les rend vulnérables aux rapaces qui incitent à la haine). Mais ils n’attirent pas aussi instinctivement notre sympathie parce qu’ils ne sont pas « nos semblables » et que sur l’écran vierge de leur anonymat, il est facile de projeter le mal ».

Soyons clairs et nets, je suis d’accord qu’il faut analyser la personne et son état pour tenter de comprendre la situation de cette histoire. Cependant, en regardant les titres de journaux ou l’attention portée sur le passé de Bissonnette, victime d’intimidation à l’école, ayant une consommation excessive de médicament, son état psychologique, une question me vient en tête. Aurions-nous eu la même attention particulière si le coupable était un homme racisé, un nom d’une autre origine ou d’une autre religion ? C’est une réflexion que nous devons tous avoir.

Des enjeux à ne pas écarter

Les nouvelles concernant le procès et le drame de Toronto ont fait ressortir plusieurs enjeux qui affectent la société canadienne et québécoise : l’islamophobie persistante et la misogynie. Le conducteur au volant de la camionnette meurtrière de Toronto, Alek Minassian faisait partie du groupe Incel (involuntary celibates ou célibataire involontaire). Tout d’abord, certains ont affirmé que c’était un musulman, alors qu’il était bel et bien canadien-ontarien. Il s’est inspiré d’Elliot Rodger comme Bissonnette. L’homme de 22 ans ayant fait 6 morts et 14 blessés à Isla Vista, en 2014, s’identifiant lui-aussi comme un Incel.

Dans un article de la Presse du 25 avril 2018, on explique l’ampleur du danger que représente ce groupe : « ça s’est développé ou du moins raffermi, et il y a eu un discours misogyne et pro-viol qui a découlé de ce groupe-là. On y relie des comportements qui légitiment la violence. On parle de propos haineux à l’égard des femmes, mais aussi, lorsqu’on parle de viol, de crimes haineux à l’égard des femmes », explique Margaux Bennardi, une intervenante psychosociale au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence et coordonnatrice de la ligne info-radical.

De plus elle rajoute : « chez les incels, ce qui ressort, c’est toute l’idée de la construction identitaire. Ça rejoint la perception du rôle masculin, qui est décrite comme s’il faut absolument être fort, avoir des gènes avantageux qu’eux n’ont pas et que c’est pour ça qu’ils ne peuvent pas entrer en relation. » On peut voir définitivement la misogynie et la masculinité toxique qui semblent bien banalisées dans un certain discours public.

Lorsqu’une tragédie nous frappe dans notre pays ou proche de nous, il est important de reconnaître les enjeux qui peuvent nous affecter et de porter une attention particulière aux victimes et aux survivant(e)s. J’admire les messages des groupes féministes qui ont réagi à ces tristes nouvelles avec un message puissant solidaire et de courage. J’apprécie fortement les réactions des étudiantes et des étudiants qui se soutiennent et qui restent solidaire. Je terminerai ce texte en annonçant les dix victimes identifiées de l’attentat antiféministe de Toronto car lorsqu’une attaque se produit ainsi, nous avons tendance à porter plus d’attention au suspect. Je le disais, je le dis et je le dirai toujours, Say their name.

Anne Marie D’Amico, Dorothy Sewell, Renuka Amarasingha, Munir Najjar, Chul Min (Eddie) Kang, Betty Forsyth, Sohe Chung, Andrea Bradden, Ji Hun Kim, Geraldine Brady.

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