En période électorale, les sondages d’opinion se multiplient alors qu’on nous rappelle semaine après semaine les probabilités de voir un tel parti prendre le pouvoir. Reflet de la réalité ? Un petit détour par la sociologie critique nous permet d’aborder cette question sous un tout autre angle.
Le sociologue français Pierre Bourdieu, dans un court texte intitulé L’opinion publique n’existe pas, est sans équivoque : « le sondage d’opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion. », alors qu’elle demande un minimum de compétence politique. Pour produire une opinion, encore faut-il comprendre les forces en présence. Lorsqu’on nous présente un enjeu pour la première fois, le ton, le choix des mots et l’angle de la question ont un effet non-négligeable sur la réflexion ainsi soulevée.
Pensons seulement à la boussole électorale. Sur un bon nombre d’enjeux, j’étais incapable de me positionner car la formulation de la question et des réponses disponibles ne pouvait correspondre à mon avis sur la problématique. En choisissant la catégorie « pas d’avis sur la question », je me retrouve rapproché idéologiquement de partis n’ayant pas pris position, bien souvent les Conservateurs ou le NPDQ, ou ayant un avis vague sur l’enjeu, bien souvent la Coalition Avenir Québec.
Les sondages d’opinion sont, toujours selon Bourdieu, des « instruments d’action politique » ; subordonnés à des intérêts particuliers, ceux-ci commandent fortement « la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des résultats. » Pour le sociologue, leur fonction est de dissimuler les rapports de force en donnant l’impression d’une relative unité, retirant les enjeux politiques des débats qui leur sont constitutifs. Un portrait nous disant que la grande majorité des québécois(e)s ne savent pas, et ne savent pas sur quelles raisons appuyer leur choix serait en ce sens un «non-portrait».
Autre phénomène intéressant : la plupart des boites de sondage utilisent les lignes résidentielles fixes. Cela signifie que depuis 5 ans, je suis invisible sur les listes d’appels… et dans les résultats de sondages. Les sondages en ligne posent une toute autre question : qui sera rejoint et voudra prendre le temps de répondre ? Difficile d’arriver à un échantillon représentatif.
Ce biais d’apparence anodin dans la sélection des participant(e)s prend toutefois tout son sens si on s’intéresse aux différents modes de vie ainsi exclus : une famille sur un rythme de 8 à 5 ou encore une personne âgée a beaucoup plus de chance de répondre à un tel sondage qu’un jeune professionnel à son compte. On peut aussi supposer que les moments choisis par les agences de sondage ne permettent pas une réflexion de fond, dans tout ce bruit du quotidien.
L’information en région en danger
Dans un contexte de crise de l’information en région, avec la chute des revenus publicitaires, la concentration des entreprises de presse et la fermeture de médias locaux, les sources nationales deviennent les principales, sinon les seules, sources d’information à l’extérieur des grands centres.
Que ce soit pour présenter les probabilités de l’élection d’un parti, où la popularité d’une promesse par rapport à une autre, les bulletins d’informations nationales sont remplis de pourcentages dont on n’explique que peu souvent la provenance et encore moins la signification.
Ajoutons à cela une réalité particulière des régions ressources : voter avec le pouvoir. Une logique assez simple. Dans un territoire éloigné, dont l’économie est très fragile et lié aux politiques publiques, la population a tout intérêt à voter « du bon bord ». Dans un système majoritaire uninominal à un tour, ces circonscriptions ont un poids phénoménal … parlez-en au Parti Québécois.
Les tendances sont ainsi constamment cristallisées par la publication de nouveaux résultats de sondage, confirmant la conformité du choix d’un parti ou d’un autre.
Je ne vous dirai pas pour qui voter… ni même de voter. Peu importe le résultat de l’élection, le réel travail démocratique commence au jour 01 du mandat. Je vous invite en ce sens à lire les revendications de vos associations étudiantes en pages 3 et 5 du journal.
Toutefois, il y a de ces élections où le vote peut avoir plus d’incidence que d’autres. Dans une lutte à quatre partis, les sondeurs n’ont qu’à bien se tenir.