Au nom de l'évolution

Facebook s’impose au beau milieu de nos interactions sociales. Le réseau social créé par Mark Zuckerberg est un outil de consolidation. Il exige de vous que vous y utilisiez votre nom réel. Ce n’est plus un secret pour personne, lorsque vous êtes inscrits sur Facebook, l’entièreté de votre vie sociale converge vers votre profil: votre famille, vos amis, vos collègues de classe et de travail, vos enseignants, vos employeurs et même vos anciennes connaissances et fréquentations oubliées. Écrire quelques mots sur Facebook, c’est murmurer doucement à l’oreille de tous ceux que vous connaissez.

Il n’y a pas si longtemps, Internet était un univers anonyme. Bon, relativisons, car je parle ici des années 90. À cette époque, chaque internaute avait son «nick». À cette époque, on retrouvait sur Synapse, le babillard électronique parallèle du Club Mac de Québec une pléthore de MouseMan, MacMan, AppleJohn et MacFreak. On avait peur des invasions de la vie privée. On refusait de s’afficher. On était bien loin des curriculums vitae en ligne et des profils Facebook publics avec numéro de cellulaire inclus.

Comme dans la légendaire bédé Astérix, il existe encore un petit village qui résiste toujours à l’envahisseur. Il s’agit en fait de millions d’internautes, membres de ce groupe qu’on appelle Anonymous, tels que les infâmes utilisateurs du babillard 4Chan, de Christopher Poole (mieux connu sous le pseudonyme de «Moot»). Alors que les babillards de 4Chan sont reconnus comme étant l’une des forces clandestines les plus influentes du Web, leur fondateur insiste sur la banalité de sa «vraie vie». «Je garde ma vie privée très éloignée de ma vie virtuelle», confesse-t-il. Pas surprenant alors que les utilisateurs de ses forums n’adoptent aucune identité. Cet anonymat absolu permet à ces gens – qui se décrivent comme étant l’engin de haine d’Internet – de critiquer ouvertement les positions sociales les plus délicates et de prendre action contre des géants sans aucune crainte de représailles – par exemple leur position contre l’Église de Scientologie.

Sans vouloir trop disserter sur cette communauté bien singulière, il est important de mettre en évidence l’incroyable gouffre entre l’attitude Zuckerberg – soit la transparence totale et la convergence sociale de tous les aspects de nos vies – et l’attitude Moot : les identités multiples, les pseudonymes obscurs, l’anonymat absolu.

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