Est-ce que le journalisme et la politique sont en train de venir des vases communicants ? Oui, soutient l’étudiante-chercheuse lavalloise Anne-Marie Pilote qui a interrogé sept journalistes ayant fait le saut en politique. « Dans les dernières années, il y a eu une tendance lourde, aussi bien ici qu’ailleurs », affirme-t-elle.
Ses résultats, présentés dans le cadre du 83e Congrès de l’Acfas tenu du 25 au 29 mai à Rimouski, jettent la lumière sur l’un des plus grands tabous dans le milieu journalistique. Comble d’une coïncidence, c’est il y a exactement un an, alors qu’elle œuvrait comme bénévole au précédent congrès de l’Association, que l’idée lui est venue à l’esprit.
À l’époque, la Belge Lara Van Divoet présentait ses travaux de maîtrise intitulés « Ces journalistes qui “passent” en politique ». « La situation en Belgique est très différente, note toutefois Anne-Marie. À la RTBF, les transfuges peuvent réintégrer la salle de rédaction s’ils le désirent. Ce n’est pas du tout le cas au Québec où la convention collective des quatre principaux groupes de presse l’interdit. »
Portrait fascinant
C’est cependant l’obtention de la bourse Jean-Charles-Bonenfant qui a rendu possible le projet d’Anne-Marie. Dans le cadre de cette dernière, les boursiers se voient offrir la possibilité d’effectuer cinq stages pratiques d’une durée totale de dix mois à l’Assemblée nationale. Pour la candidate à la maîtrise en communication publique de l’Université Laval, c’était l’occasion en or de côtoyer les sept anciens journalistes élus (sur 125 ; un peu moins de 6 %) qui composent la 41e législature du Québec. Et, pourquoi pas, de les interroger sur leurs motivations, sur les avantages et désavantages d’un tel transfert ainsi que sur les risques qui y sont inhérents.
Le portrait qu’elle en brosse est fascinant. La majorité témoigne d’une meilleure compréhension de la joute médiatique, qu’ils qualifient d’ailleurs tous de nerf de la guerre de la game politique. Plusieurs sont surpris par l’ampleur de la tâche et la perte du contrôle de leur agenda. Certains confient même se sentir moins influents que lorsqu’ils étaient de l’autre côté du micro ! « Mais tous, sans exception, confirment que leur expérience journalistique a été un atout dans leur nouvelle carrière », dit Anne-Marie.
Fait à noter : l’insatisfaction envers les conditions jugées dégradantes du travail journalistique est l’une des principales raisons qui motivent les déserteurs. Or, cette raison n’est pas spécifique à ce phénomène puisqu’elle est également évoquée par les journalistes qui font le saut en relations publiques ou en publicité. « En fait l’incitatif majeur pour passer en politique, c’est l’attrait du pouvoir », tranche la chercheuse.
Tirer la sonnette d’alarme ?
Hasard ou non, trois journalistes briguent actuellement le poste de député dans la circonscription de Chauveau et un ancien journaliste, Sylvain Rochon, a récemment été élu pour le PQ dans Richelieu. Cette multiplication de départs pour la politique met-elle à mal la confiance du public envers le quatrième pouvoir ? « Tant que les anciens journalistes ne se remettent pas à la pratique du journalisme d’information, non, je ne pense pas, affirme Anne-Marie. Et si cela devait arriver, j’espère que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) tirera la sonnette d’alarme. »
Les sept journalistes interrogés
Gérard Deltell (CAQ)
Christine St-Pierre (PLQ)
Bernard Drainville (PQ)
Dominique Vien (PLQ)
Jean-François Lisée (PQ)
Nathalie Roy (CAQ)
François Paradis (CAQ)