Pour des raisons purement anatomiques, les femmes sont en moyenne huit fois plus à risque de contracter une ITS lors de rapports sexuels non-protégés, selon une étude du Département de la santé des États-Unis. Il y a pourtant peu d’options intéressantes sur le marché pour qu’elles puissent se protéger elles-mêmes. « Avec toutes les avancées technologiques en médecine, on s’est dit, vraiment il faut développer quelque chose pour les femmes», indique Rabeea F. Omar, chercheur au Centre de recherche en infectiologie de l’Université Laval (CRI). Armés de cette volonté et après plusieurs années de travail, les chercheurs du CRI finissent par mettre au point le fameux dispositif, qu’ils nomment « condom invisible ».
Après ses études supérieures à l’Université Mémorial de Terre-Neuve, M. Rabeea a choisi de s’établir à Québec plutôt qu’en Californie pour ses études postdoctorales. Il intègre ainsi aussitôt l’équipe du docteur Michel Bergeron. « Ça fait maintenant 25 ans que je suis ici, j’ai commencé à travailler sur le condom invisible dès le jour un», relate-t-il, fier de son parcours.
Le besoin était criant. Selon des études citées par le chercheur, les hommes ne se protègent pas assez. Le condom masculin ne serait utilisé que dans un tiers des relations sexuelles à risque. « C’est dérangeant comme ce sont les femmes qui sont vraiment plus à risque », se désole M. Rabeea.
Ce risque accru est injustement dû à l’anatomie des organes génitaux féminins. Tel que l’explique le chercheur, le vagin est tapissé de muqueuses. Elles représentent une surface d’en moyenne 80 cm2, alors que sur le pénis, il n’y en a que 10 cm2. Celles-ci sont plus vulnérables aux infections que, par exemple, la peau. « Les femmes ont une plus grande surface qui est exposée dans les relations sexuelles non protégées », précise le scientifique.
« Il faut changer la façon de penser et donner des options aux femmes », poursuit-il. Selon lui, elles seront peut-être plus portées à utiliser un produit qui est sous leur contrôle. « Ça veut dire qu’on pourrait avoir moins d’infections et empêcher le décès de beaucoup de jeunes femmes », espère M. Rabeea.
La protection double
Le condom invisible fonctionne avec deux barrières, l’une physique et l’autre chimique. « Le gel polymère piège et bloque les microbes et les spermatozoïdes. L’autre, c’est un agent actif qui affecte les membranes des virus et des bactéries et les rend non infectieux », révèle le chercheur.
Même l’applicateur de ce gel a été développé par l’équipe du CRI. Il ressemble notamment beaucoup à celui d’un tampon. Le tube extérieur du dispositif est recouvert de petits trous qui permettent au gel d’en sortir une fois que le piston est pressé. Ceci assure une couverture des muqueuses vaginales. Il peut aussi être utilisé en combinaison avec le condom masculin.
Le condom invisible peut ainsi être appliqué jusqu’à une heure avant la relation sexuelle et tout de même offrir sa protection. « Les femmes ont le temps pour l’appliquer, ce qui peut rendre les relations plus naturelles et spontanées », précise le chercheur. De plus, comme tient à le souligner M. Rabeea, ce dispositif a aussi l’avantage de lubrifier les parois du vagin. Par contre après plus d’une heure et il commencera à se diluer avec les sécrétions vaginales.
Après le rapport sexuel, l’utilisatrice n’a rien faire. Le gel se mélange avec les sécrétions vaginales et s’évacue graduellement avec le temps. « Les femmes qui ont essayé le produit confirment que ça ne sort pas tout d’un coup et qu’elles n’ont pas plus de sécrétions », appuie le scientifique.
Encore sur les bancs d’essai
« En laboratoire, lorsqu’on contrôle tous les paramètres c’est facile d’obtenir 99% d’efficacité, mais avec l’usage typique, il faut enlever environ 15% », admet M. Rabeea. Il précise qu’il y a la même perte d’efficacité avec le condom masculin. « Les humains ne sont pas parfaits, ce qui fait en sorte qu’il y a des variations, mais si vous êtes parfaits, il peut avoir une efficacité impeccable », dit-il, farceur.
Les études de sécurité de phase 1 et de phase 2 ont déjà été réalisées au Québec et au Cameroun. « Parmi 500 femmes, le condom a été utilisé 30 000 fois et on n’a pas eu de problèmes, il est sécuritaire », se réjouit le chercheur.
Il reste tout de même à faire plusieurs études d’efficacité pour le tester contre les différentes infections et contre le VIH. La première étude pilote est en cours. Elle concerne la contraception et l’effet spermicide qu’offre le condom invisible. « On la fait ici à Québec et on est confiant qu’elle sera bonne, on espère avoir les résultats plus tard cette année », ajoute M. Rabeea.
L’incontournable question du prix que couterait ce condom invisible demeure. De leur côté, les condoms féminins de latex actuellement sur le marché coutent cher. « Pour nous, j’espère qu’il ne coutera pas plus qu’un café. On a été très prudent dans le choix des polymères, du gel et de l’applicateur », prévient le scientifique, souhaitant que le produit soit accessible aux femmes de partout dans le monde.
Il y aurait un million de cas d’infections transmises sexuellement par jour, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « C’est très important de sensibiliser les gens parce que c’est triste quand il y a beaucoup de décès et de cas d’ITS qui auraient pu être évités », décrie-t-il. L’invention des chercheurs du CRI pourrait être une corde de plus pour la prévention.