Guérir grâce à une mutation génétique

L’étude, publiée le mois dernier dans le prestigieux New England Journal of Medicine, a été effectuée sur un homme caucasien séropositif de 40 ans. Diagnostiqué en plus avec une leucémie, ce patient a bénéficié d’une transplantation de moelle osseuse. À la suite de cette transplantation, des analyses ont montré que le VIH avait complètement disparu, 20 mois après la greffe. Durant ce temps, la trithérapie anti-VIH avait été suspendue. Ce résultat encourageant permet de se poser la question suivante: par quel mécanisme la transplantation de moelle osseuse a-t-elle empêché la propagation du VIH?

Infection par le VIH
Lorsque le VIH se retrouve dans l’organisme, il entre en contact avec des lymphocytes T dits CD4 positifs, des globules blancs chargés de la défense immunitaire. Une interaction a alors lieu entre le VIH et ces cellules grâce à deux molécules présentes à la surface du lymphocyte: le récepteur CD4 et le corécepteur CCR5. Ce dernier est indispensable à la pénétration des particules virales à l’intérieur des lymphocytes. Le virus peut alors se multiplier dans les cellules avant de les tuer. Bien après l’infection, le système immunitaire se retrouve affaibli, sa première ligne de défense étant touchée.

Une moelle osseuse particulière
Les lymphocytes T CD4 positifs trouvent leur origine dans les cellules souches de la moelle osseuse. Les cellules souches transplantées chez le patient de l’étude allemande proviennent d’un individu ayant une particularité dans le gène du corécepteur CCR5. Comme l’explique le Dr Réjean Cantin, chargé de projet au laboratoire d’immuno-rétrovirologie humaine au Centre de recherche du centre hospitalier de l’Université Laval (CRCHUL), «il s’agit en fait d’une suppression génétique, donc une partie du corécepteur CCR5 n’est pas exprimée chez cet individu. Il en résulte que ce récepteur incomplet ne parvient pas à atteindre la surface de la cellule comme le type sauvage pourrait le faire. Ainsi, le VIH ne peut pas avoir accès à cet important corécepteur pour pénétrer dans la cellule et parvenir à établir une infection productive». De ce fait, lorsque des cellules souches ayant des molécules CCR5 mutantes sont implantées, on peut assister à une baisse très marquée de la multiplication du VIH, comme cela a été montré dans l’étude effectuée par l’équipe allemande. Un très faible pourcentage de la population caucasienne possède le corécepteur CCR5 mutant. En effet, seulement 1% de cette population est naturellement résistante à l’infection au VIH.

Des cellules salvatrices?
Bien que cette découverte ait ravivé une lueur d’espoir chez les chercheurs, quelques bémols demeurent. «Il est clair que, comparativement à la trithérapie, ce traitement est complexe, délicat et coûteux. Il serait improbable
à court terme d’imaginer ce traitement à grande échelle, et encore moins dans les pays en voie de développement», affirme le Dr Cantin. Une autre difficulté majeure réside: le problème de compatibilité immunologique lors de transplantations de moelle osseuse. Comme l’explique le Dr Deepak Kamnasaran, chercheur en neuro-oncologie au CRCHUL, «le principal problème est de trouver des donneurs de moelle osseuse ayant des similarités génétiques ou des systèmes immunitaires identiques afin d’éviter le rejet des greffons chez les patients séropositifs». Une des stratégies envisageables pour contourner ce problème
serait de modifier génétiquement les cellules souches de la moelle osseuse du patient. «Il serait possible de modifier génétiquement les cellules souches du patient afin que ces dernières puissent produire la protéine CCR5 mutante qui empêche l’entrée du VIH dans le lymphocyte T CD4», suggère le Dr Kamnasaran.

Et pour d’autres maladies?
La transplantation de cellules souches issues de la moelle osseuse est une procédure utilisée dans le traitement d’autres maladies. «Les cellules souches de la moelle osseuse sont utilisées dans le traitement de la leucémie chez les enfants et les adultes, puisque le remplacement des cellules souches cancéreuses par des cellules souches saines est très puissant. Cela permet aux patients de survivre et de produire des globules blancs fonctionnels», explique le Dr Kamnasaran. Aussi, les cellules souches de la moelle osseuse sont utilisées pour produire certaines protéines absentes de patients souffrant de maladies métaboliques. En effet, les symptômes de retard mental et de développement des enfants qui souffrent du syndrome de Hurler, une maladie métabolique, sont réduits de façon significative grâce à la transplantation de moelle osseuse.
 

Auteur / autrice

Consulter le magazine