L’agroforesterie intègre de façon étroite arbres et cultures dans un même système afin d’en retirer des bénéfices environnementaux et d’améliorer la productivité d’un site. Une combinaison gagnante qui permet à plusieurs égards de faire face à certains enjeux du monde agricole et forestier.
Meggie Canuel-Caron
Les 4 et 5 novembre aura lieu à l’Université Laval la première édition du colloque étudiant en agroforesterie. Cet événement gratuit est l’occasion parfaite pour les curieux comme pour les connaisseurs d’en apprendre davantage sur les activités agroforestières auxquelles l’UL s’adonne au Québec et à travers le monde.
Pourquoi combiner arbres et culture?
C’est la question à laquelle répond Alain Olivier, professeur à la maîtrise en agroforesterie et directeur du groupe interdisciplinaire de recherche en agroforesterie (GIRAF). « La présence de l’arbre dans un système agricole offre plusieurs services. Sur le plan environnemental, il améliore la fertilité des sols, la séquestration du carbone, la qualité de l’eau et la biodiversité. Sur le plan social, il embellit le paysage. Sur le plan économique, il valorise les ressources par la bifonctionnalité du territoire », explique-t-il.
L’agriculteur avantagé
Pour un agriculteur, les avantages de l’intégration de l’arbre aux systèmes en place sont nombreux. « Cela est particulièrement vrai pour les agriculteurs dans un contexte de dégradation de l’environnement agricole prononcé », selon M. Olivier. En effet, la présence de l’arbre peut diminuer les problématiques, telles que l’érosion de la précieuse couche de sol cultivable ou la baisse inquiétante de la fertilité des sols.
L’habitat naturel que représente l’arbre a aussi l’avantage d’attirer plusieurs alliés de l’agriculteur tels que des oiseaux ou insectes prédateurs des ennemis des cultures. La biodiversité fait partie intégrante des solutions de lutte intégrée qui vise à diminuer les applications de pesticides.
Évidemment, cela représente aussi un avantage économique pour l’agriculteur, puisqu’il pourra éventuellement diversifier ses revenus par les produits du bois. Une réduction des coûts reliés aux pesticides et engrais chimiques pèse aussi dans la balance. D’autant plus que ces derniers, étant souvent faits à base de produit pétrolier, seront potentiellement victime d’une hausse de prix dans un futur rapproché.
L’enseignant fait aussi mention de l’avantage de combiner les élevages et la foresterie. En ajoutant des arbres dans les pâturages, on offre de l’ombre aux animaux et l’on optimise l’espace par l’ajout d’une source de revenu. Ces systèmes, appelés sylvopastoraux, sont grandement utilisés en France.
La patience est toutefois de mise, puisqu’il faut attendre la maturité de l’arbre pour en ressentir les effets bénéfiques, mentionne Alain Olivier. Des espèces d’arbres à croissance rapide existent pour ceux qui veulent des résultats plus hâtifs. L’agriculteur doit bien sûr essuyer une certaine perte d’espace, mais selon l’expert, cette perte est compensée par une amélioration des rendements sur le long terme. Évidemment, il faut bien choisir l’espèce à combiner avec la culture et l’espacement entre les arbres pour voir cette amélioration se manifester.
Produits forestiers diversifiés
Il rappelle que l’arbre peut être utile pour une foule de produits comme pour son bois, ses noix et ses fruits. Certaines espèces peuvent même avoir un feuillage très nutritif pour les animaux d’élevage, comme c’est le cas du Févier d’Amérique. D’autres présentent des propriétés médicinales intéressantes, comme les fleurs du Tilleul couramment utilisé en médecine naturelle.
L’arbre peut aussi être utilisé pour la production d’énergie par la biomasse forestière. Ce sont donc plusieurs façons de rendre la présence de l’arbre avantageuse économiquement. Le secteur forestier ne peut que bénéficier de cette diversification des produits du bois. Cette industrie québécoise en est à ce stade dans sa reprise économique.
Pour le bien commun
Alain Olivier met une emphase particulière sur le fait que l’agroforesterie représente un avantage pour le bien commun. Par exemple, l’arbre en absorbant les fertilisants lessivés ou non absorbés par la culture, empêche ces éléments de ruisseler vers les cours d’eau. Ainsi, la diminution des cas de pollution de l’eau par l’agriculture et des coûts de traitements des eaux sont des effets bénéfiques pour l’ensemble de la population. De même que la séquestration du CO2, faite par les arbres, réduit la part non négligeable de l’empreinte environnementale de l’agriculture.
« Dans une perspective de développement durable, l’agroforesterie est une alternative intéressante au mode de production actuel », renchérit le directeur du GIRAF. Les monocultures intensives ne sont pas des systèmes de production durable et on s’en rend aujourd’hui compte à travers les diverses problématiques auxquelles font face les agriculteurs. De plus, il ajoute que l’arbre, en offrant une protection aux cultures, aura un rôle important à jouer dans la résilience des systèmes agricoles aux changements climatiques.
De ce fait, le professeur à la maitrise en agroforesterie expose son questionnement pour l’avenir de l’agroforesterie « Pourrait-on faire en sorte que les biens et services environnementaux de l’arbre soient reconnus? ». Il considère que cette question est importante en ce qui concerne l’encouragement à l’adoption des pratiques agroforestières et l’avenir des politiques agricoles et forestières.
Il affirme qu’en France un travail considérable a été fait de ce côté, mais que le Québec en est encore au balbutiement de cette reconnaissance.
Les exemples québécois
L’enseignant note un intérêt grandissant pour l’agroforesterie au Québec. « De plus en plus d’agriculteurs mettent en place des pratiques agroforestières. Les haies brise-vent et les bandes riveraines sont des exemples communs, mais depuis plus récemment on retrouve des systèmes intercalaires où on plante des rangées d’arbres plus rapprochées dans les champs.
Tout en permettant les activités de culture normales par un espace suffisant pour le passage de la machinerie, des feuillus nobles ou à croissance rapide sont implantés en vue d’en récolter les bénéfices dans plusieurs années. »
Des exemples plus particuliers au nord-est de l’Amérique du nord sont à citer. Au lieu d’intégrer l’arbre au champ, c’est le champ qui s’intègre à la forêt. Voilà ce que quelques producteurs québécois ont choisi de faire en cultivant des plantes de sous-bois tolérantes à l’ombre au cœur même de la forêt.
Par exemple, on peut voir aux pieds des érables des plantes médicinales, comestibles ou ornementales comme l’hydraste du Canada, le ginseng, l’actée à grappes ou l’asaret du Canada. La culture des champignons forestiers est aussi un exemple qui gagne en popularité au Québec. Bien que ce soit encore marginal, la valorisation des produits forestiers non ligneux (PFNL) est bien présente dans le secteur de la foresterie.
De plus, le Centre de référence en agriculture et agroalimentaire du Québec (CRAAQ) a formé un comité sur la production agroforestière et un répertoire des professionnels du domaine et des sites en démonstration au Québec.
Le colloque
Caroline Dufour, étudiante à la maîtrise en agroforesterie et organisatrice du colloque, précise l’importance de cet événement dans le domaine. « Comme il n’y avait pas encore d’activité présente à l’université pour rassembler les gens du domaine, le but est surtout de permettre aux acteurs du milieu de réseauter. L’agroforesterie est une approche multidisciplinaire et la collaboration de gens d’horizons variés est importante ».
Elle ajoute que l’objectif consiste aussi à donner de la visibilité à l’agroforesterie et donc que tous sont invités à s’y inscrire. « L’agroforesterie est bien documentée et très connue de la communauté scientifique, mais moins du public québécois », affirme l’étudiante.
L’initiative conjointe du comité de programme et des étudiants de la maitrise en agroforesterie permettra de partager ce qui est fait à l’Université Laval dans le domaine. Les participants auront une idée globale des champs d’application et de l’éventail des possibilités qui existent en agroforesterie. Comme l’Université Laval intervient aussi à l’internationale dans ses projets agroforestiers, quelques présentations auront une saveur plus tropicale. Pour résumer, un événement potentiellement très enrichissant vous attend.