L’histoire débute alors que le docteur Angelo Tremblay, chercheur au Centre de recherche de l’Hôpital Laval et professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval, est en pleine période de demandes de subventions pour la poursuite de ses travaux. Il remarque qu’il ressent souvent une sensation de faim alors qu’il exécute différentes tâches sur son ordinateur. Il s’est donc demandé si le travail intellectuel entraînait une suralimentation. Eurêka! Il venait de trouver son prochain projet de recherche.
Des cerveaux qui ont faim
Une étude publiée par le Dr Angelo Tremblay dans le Physiology & Behavior en janvier 2007 révélait déjà à l’époque que l’effort mental sollicité lors de travaux intellectuels pouvait augmenter la prise calorique. Pour en arriver à cette conclusion, quinze étudiantes de l’Université Laval se sont prêtées au jeu?: rester assises en position de repos pendant 45 minutes, lire et écrire un résumé de 350 mots et effectuer différentes tâches à l’ordinateur pendant la même période de temps. Les étudiantes devaient par la suite remplir un questionnaire quant à leur sensation de faim. Elles étaient par la suite conduites vers un buffet où elles devaient manger à leur faim.
Les résultats ont dépassés les attentes des chercheurs! Le travail intellectuel effectué par les jeunes filles entraînait une consommation, en moyenne, de trois calories de plus qu’au repos. Cependant, après l’activité mentale de 45 minutes, elles ont ingurgité 200 calories de plus après la lecture et l’écriture et 250 calories de plus après le travail à l’ordinateur, et ce, même si elles ne ressentaient pas nécessairement de faim à la suite de ces exercices.
Mesurer le travail mental
Devant ces résultats, l’équipe de chercheurs composée de Jean-Philippe Chaput, Vicky Drapeau, Paul Poirier, Normand Teasdale et Angelo Tremblay on voulu identifier les raisons qui nous poussent à manger à la suite d’un effort mental. «L’intensité du travail mental ne se mesure pas en QI», a affirmé le Dr Tremblay. Il leur a donc fallu trouver une autre unité
de mesure.
Les scientifiques ont donc répété l’expérience qu’ils avaient menée en 2007, mais cette fois-ci, ils ont mesuré le niveau de cortisol, de glucose et d’insuline dans le sang à sept reprises lors de chaque activité. Le niveau de cortisol augmentait significativement lors d’une activité intellectuelle comparativement à la situation de référence, c’est-à-dire au repos. Les chercheurs ont également remarqué une plus grande instabilité glycémique et insulinémique, provoquant des signaux de faim lorsque les étudiantes se soumettaient à des travaux intellectuels. Les résultats de cette recherche ont été publiés le 25 août dernier dans la revue scientifique Psychosomatic medicine.
Le stress responsable de l’obésité?
Le cortisol est une hormone bien connue qui permet de mesurer le niveau de stress. Lors d’un effort mental, nos neurones utilisent du glucose comme carburant. Ceci fait augmenter le niveau de cortisol afin de maintenir un équilibre et augmenterait ainsi notre niveau de stress. Les chercheurs pensent donc que le stress pourrait expliquer, entre autres, la sensation de faim ressentie lorsque l’on échauffe notre
cerveau.
Une augmentation de la proportion de personnes obèses se fait remarquer depuis les 20 dernières années. Qu’est-ce qui a tant changé dans les deux dernières décennies et qui pourrait expliquer cette épidémie d’obésité? «Nous avons éliminé le manque d’exercice, la diète, la pollution et le manque de sommeil parce que les études ont montré que ces facteurs n’expliquaient pas nécessairement la prise calorique», explique le chercheur. «Il ne restait que la venue du micro-ordinateur, apparu dans nos vies dans les années 1980», ajoute-t-il. Selon Angelo Tremblay, l’effort mental soutenu est le stress des temps modernes.
«Ce n’est pas encourageant», indique le chercheur. L’ordinateur fait maintenant partie de nos vies et contribue grandement à l’activité économique de notre société. «Il faut prendre note de ce fait, demeurer régulièrement actif et gérer notre stress», prévient Angelo Tremblay. «C’est une découverte fascinante sur le plan scientifique mais déplorable pour la société», conclut-il.