La grippe est-elle réellement plus virulente cette année ? Où en sont les recherches concernant les traitements thérapeutiques et la prévention ? On fait le point avec le Dr Guy Boivin, professeur titulaire au Département de biologie médicale de la Faculté de médecine de l’Université Laval, et détenteur de la Chaire de recherche canadienne sur les virus en émérgence et la résistance aux antiviraux.
Valérie Désyroy
La grippe est une maladie virale très contagieuse qui peut atteindre l’homme et de nombreux animaux tels que le cheval, le porc ou les oiseaux. L’agent infectieux en cause est le « Orthomyxovirus influenza ».
Il existe trois types de virus influenza distincts, mais tous pathogènes: A, B et C. Le type A est le plus virulent, et en majorité responsable des épidémies chez l’homme et des pandémies occasionnelles. Le type B cause des épidémies de moindre envergure que le A. Le C semble davantage épisodique, et son expression grippale est moins violente.
À la surface du virus, on retrouve deux protéines, les Hémagglutinines ( H ), la « clé d’entrée »: ces antigènes permettent de fixer la particule virale sur les récepteurs des cellules hôtes. La neuramidase ( N ), la « clé de sortie »: cette enzyme permet la libération du virus fixé sur les cellules respiratoires, et donc sa propagation.
Il existe 16 types H et 9 types N, pouvant mener à 16 X 9 – soit 144 – combinaisons possibles. Toutes ces combinaisons existent dans le monde aviaire, mais seules les virus porteurs de H1, H2, H3 et N1, N2 sont en cause dans les grippes saisonnières chez l’homme jusqu’à maintenant.
Une des caractéristiques de ces Myxovirus est leur grand pouvoir de mutation, par divers mécanismes génétiques. C’est en Extrême-Orient que ces modifications sont observées en premier, ce qui permet de préparer des souches vaccinales adaptées pour chaque campagne de vaccination annuelle.
Comment les vaccins sont-ils préparés ?
Chaque saison de grippe, trois sous-types de virus circulent: deux types A ( H1N1 et H3N2 ), et un type B. La dominance d’un des types est très variable selon le pays, la région ou l’année. Par exemple, lors de la pandémie de 2009, c’était H1N1 qui était en cause, touchant particulièrement les enfants et les jeunes adolescents. Les personnes âgées semblaient moins affectées, possiblement car elles avaient été en contact avec une souche similaire lors des années 1930 – 1940, possédant donc les bons anticorps. Cette année, l’épidémie grippale est marquée par la prédominance de la souche H3N2, un sous-type qui affecte particulièrement les aînés.
Afin d’avoir un maximum d’efficacité chaque année, les vaccins contiennent les trois sous-types.
Ils sont préparés en fonction des souches virales ayant circulé lors de l’année précédente, susceptibles de causer une épidémie. En théorie, le vaccin idéal contiendrait une souche de virus identique à celle de l’épidémie. En pratique, on ne peut pas isoler assez rapidement la souche épidémique et préparer le vaccin à temps. C’est pourquoi la souche de l’année précédente est utilisée.
Lors d’un bon match, c’est-à-dire lorsque les bonnes souches ont été choisies, le vaccin peut se révéler très efficace.
Néanmoins, il y a parfois des mismatchs : les virus sont en constante mutation ( les drifts antigéniques ), ce qui leur permet d’échapper aux mécanismes immunitaires de l’hôte.
Dans les bonnes années, la protection peut atteindre 80 %. Or le Dr Boivin évalue l’efficacité du vaccin de cette année autour de 50 %, soit un score passable.
Il explique que la présence d’une nouvelle souche du virus, son arrivée précoce en novembre au lieu de la fin décembre et la proximité des gens pendant le temps des Fêtes sont tous des facteurs expliquant pourquoi la grippe semble frapper fort cette année.
De plus, ajoute-t-il, le sous-type H3N2 tend à être associé à davantage de complications ( otites, bronchites ) et de cas de mortalité ( infarctus, pneumonies ) que les autres types.
Qu’en est-il de la recherche ?
La recherche se divise en deux axes: les solutions thérapeutiques et préventives.
Dans le premier cas, on parle d’antiviraux qui agissent comme inhibiteurs de la neuramidase. Les plus connus sont le Tamiflu ® et le Relenza ®, le premier dominant le marché, car son mode d’administration est plus simple ( gélules versus inhalateur ). Ces antiviraux permettraient à la fois de réduire la durée des symptômes, leur gravité, et même de prévenir l’infection.
Toutefois, le groupe du Dr Boivin a détecté des souches résistantes au Tamiflu ®: des mutations dites « compensatrices » permetteraient au virus de restaurer l’action de la neuramidase et de propager un virus hautement résistant.
Du côté de la prévention, la recherche se dirige vers de nouvelles voies d’administration: les voies intranasales et transdermiques sont des exemples. Il apparaît en effet qu’en comparaison avec la voie intramusculaire ( aujourd’hui utilisée lors des campagnes de vaccination ), la voie d’administration par les muqueuses serait plus adaptée à provoquer une forte immunité. C’est en effet la porte d’entrée naturelle du virus.
Les nouvelles voies d’administration permetteraient également de rejoindre une partie de la population qui refuse la vaccination par crainte des aiguilles.
Vers le vaccin universel ?
C’est le Saint Graal des chercheurs ! Il faudrait trouver une protéine ou une partie de la protéine qui subit peu de mutations génétiques au cours des années et pouvant donc demeurer reconnue par notre système immunitaire. Néanmoins, le Dr Boivin explique que la nature est bien faite ( pour les virus! ), puisque les protéines à la surface de la capsule virale sont celles qui subissent le plus de mutations. Les protéines plus stables se retrouvant à l’intérieur de la capsule, elles demeurent par conséquent invisibles pour les molécules assurant notre défense immunitaire.