Depuis la découverte des cellules souches par une équipe canadienne et de l’énorme potentiel qu’offraient plus précisément les cellules souches embryonnaires (CSE), une minirévolution secoue le domaine de la régénération tissulaire. Ces cellules, qui composent l’embryon lors de ses premiers jours de développement, revêtent un caractère original qui réside dans leur pouvoir de renouvellement illimité et leur capacité à se différencier en l’un ou l’autre des 220 types de cellules qui forment le corps humain. Pour cette raison, elles représentent une source intarissable de cellules que l’on peut modifier sur commande en médecine régénérative. Or, l’utilisation des CSE, de par leur origine, soulève un débat éthique à l’échelle mondiale dans lequel les convictions, la politique gouvernementale ainsi que les valeurs religieuses sont mises à contribution. D’un autre côté, l’encadrement de ce type de recherche alourdit les démarches administratives d’un chercheur qui souhaite utiliser cet outil.
Mais voilà qu’une solution vient d’être proposée! Elle s’impose comme une option qui permettrait de s’affranchir de tous ces problèmes. S’il est vrai que, dans la nature, une fois différenciée, une cellule ne peut plus faire marche arrière, il en va tout autrement en laboratoire. Avec une facilité déconcertante, des chercheurs ont récemment réussi à déprogrammer une cellule. Pour ce faire, ils ont modifié l’expression des gènes de cellules adultes, telles que des cellules de la peau, afin de les ramener à un état précoce, similaire à celui des CSE. En pratique, cela se traduit par l’utilisation de virus qui réactivent l’expression de quatre gènes qui sont exprimés exclusivement au stade embryonnaire. Les cellules ainsi obtenues, appelées cellules souches pluripotentes induites (iPS), possèdent les mêmes caractéristiques exceptionnelles que les CSE.
Des applications au-delà de l’imagination
Selon le Dr Jacques P.-Tremblay, professeur à l’Université Laval et chercheur au CHUL, les iPS ont un avantage sur les CSE pour traiter les patients qui ont subi un accident, tels un infarctus ou un bris de la moelle épinière. Les CSE sont des cellules allogéniques, soumises aux contraintes du rejet immunitaire. Les iPS, quant à elles, proviennent du même patient, ce qui signifie que les problèmes de rejet sont évités. Toutefois, dans le cas de maladies génétiques, telles que la dystrophie musculaire de Duchenne, une correction génétique serait nécessaire avant de pouvoir utiliser les iPS, sinon des cellules défaillantes seraient utilisées. Cependant, pour des raisons éthiques, l’utilisation de cellules corrigées en clinique est encore un sujet sensible.
Un plan législatif
En ce qui concerne l’utilisation des CSE, la réglementation canadienne est régie par la Loi sur la procréation assistée (loi C-6). Cette loi vise à établir des limites afin de respecter l’unicité de chaque individu et de protéger l’intégrité du génome humain. Par exemple, les chercheurs doivent impérativement démontrer la nécessité d’utilisation des CSE avant de commencer tout travail de recherche.
La réglementation considère-t-elle les iPS comme des CSE, puisqu’elles possèdent les mêmes caractéristiques? Selon Ubaka Ogbogu, chercheur associé au Health Law Institute de l’Université d’Alberta, il faut d’abord regarder l’étendue de la loi C-6. Cette dernière encadre les recherches qui utilisent les cellules d’un embryon de 0 à 56 jours. Puisque les iPS proviennent de cellules adultes reprogrammées, elles sont considérées par la loi comme tous les autres types de cellules actuellement utilisées en médecine régénérative.
Une question éthique
Les discussions éthiques relatives aux CSE gravitent autour de l’origine de ces cellules, ce qui représente un sujet délicat. En effet, elle aborde notre conception de l’origine de la vie, puisque l’obtention de CSE nécessite la destruction d’un embryon dans ses premiers jours.
En permettant de contourner le problème, les iPS ont obtenu le soutien de nombreux opposants aux travaux sur les CSE, tels que le Vatican et l’ancien président des États-Unis, Georges W. Bush. En réalité, pour ces défendeurs, les iPS représentent un choix moralement acceptable comparativement aux CSE.
Du côté canadien, en plus d’être régies par les lois, les recherches sur les CSE sont encadrées par le Comité de surveillance des cellules souches (CSCS), qui s’assure que les recherches effectuées respectent le code éthique canadien. Selon Raymond Lambert, professeur à la Faculté de médecine de l’Université Laval ayant siégé de nombreuses années au CSCS, les iPS sont encadrées par la même réglementation que les CSE, puisque ce sont des cellules pluripotentes. Au même titre que les lois canadiennes qui encadrent la reproduction humaine, le CSCS révise les travaux de recherche qui utilisent ce type de cellules. Pour cette raison, tous les travaux de recherche qui se servent d’iPS doivent être soumis au CSCS, qui vérifie s’ils respectent les normes éthiques canadiennes.
En somme, depuis leur découverte, les CSE sont considérées comme le Saint-Graal de la médecine régénérative, avec de nombreuses applications à la clé. Mais elles soulèvent aussi de nombreux débats éthiques sur le sujet. Maintenant qu’il est possible d’obtenir des cellules qui possèdent les mêmes caractéristiques en déprogrammant des cellules somatiques, il semble que le problème éthique des CSE sera bientôt chose du passé. Il reste à savoir si les iPS seront réellement capables de remplacer les CSE ou si elles représenteront plutôt un outil complémentaire.
Ils l’ont fait
Les conclusions d’une étude publiée dans la prestigieuse revue Science ont démontré qu’il est maintenant possible d’obtenir des iPS sans altérer le génome de la cellule. En effet, les anciennes techniques de déprogrammation utilisent des virus intégratifs, similaires au VIH, ce qui risquait de causer des cancers et limitait les futures applications cliniques. Il est maintenant possible, grâce à des virus non intégratifs, comme celui de la grippe, de transformer des cellules de la peau de souris en iPS sans pour autant altérer le génome des cellules. Ces virus expriment toujours les quatre mêmes facteurs, mais seulement pour une période transitoire. Comme ces résultats ont été obtenus chez la souris, il reste un grand pas à faire pour en arriver là chez l’humain… Cette découverte constitue malgré tout un progrès vers la création plus sécuritaire d’iPS qui pourraient être éventuellement utilisées en clinique.
Qu’en pense …
Nicolas Caron, chercheur associé au sein des laboratoires Michael Smith de l’Université de Colombie-Britannique?
IC: Pensez-vous que les iPS, nouvel espoir de la médecine régénératrive, pourraient bientôt être utilisées en clinique?
NC: Au-delà de l’intérêt scientifique que suscite la découverte de techniques pour générer les iPS au cours des dernières années, il y a de gros doutes quant au réalisme économique de telles méthodes à court terme. Il semble plus réaliste de penser que l’on puisse amortir les coûts associés à la dérivation d’une lignée de cellules souches embryonnaires en traitant une centaine de patients. Toutefois, avec une lignée personnalisée pour chaque individu, en plus des coûts liés à la dérivation initiale, quel serait le coût moyen en diagnostics moléculaires et expérimentaux divers pour démontrer qu’une lignée d’iPS clonale soit suffisamment «sans danger pour la santé» et qu’elle soit injectable chez l’humain? 50 000$, 500 000$ ou 2 000 000$ par patient? Un système où il n’y a pas assez de médecins de famille peut-il se le permettre?