Le Professeur Steve Labrie de la Faculté de l’Agriculture et de l’Alimentation s’est interrogé sur la croissance de Listeria monocytogenes en fonction de différentes teneurs en NaCl1 dans le camembert. Pendant de nombreux mois, la bactérie a été chouchoutée dans les meilleures conditions alors qu’en 2008, elle était pointée du doigt pour avoir contaminé certains fromages au Québec, causant ainsi 38 cas de listériose. Le but ultime étant de vérifier le risque relatif à la réduction en sodium dans cet aliment, tel que recommandé par Santé Canada.
Valérie Goulet-Beaulieu
Réduction du sodium 101
Le chlorure de sodium ( NaCl ) est fréquemment ajouté lors de la transformation de nombreux aliments, faisant ainsi partie intégrante de notre alimentation. De nombreuses études ont démontré qu’un excès de sodium dans l’alimentation augmentait le risque lié au développement de l’hypertension artérielle. Selon Santé Canada, les Canadiens consomment du sodium de manière excessive, dont la majeure partie provient des aliments transformés. Deux documents ont récemment été publiés à ce sujet, recommandant entre autres aux industriels alimentaires canadiens de réduire sur une base volontaire la teneur en NaCl des produits alimentaires transformés, et ce, notamment dans les fromages.
Sciences des aliments 101
L’un des premiers concepts appris en science alimentaire est celui de l’activité de l’eau ( aw pour water activity ). Brièvement, elle se définit comme la proportion d’eau disponible pour les réactions biologiques dans un aliment. Chaque aliment détient sa propre aw, mais il est aussi possible de la contrôler dans une certaine mesure, notamment par l’ajout de NaCl. Celui-ci liera l’eau, la rendant ainsi moins « disponible », notamment pour les bactéries. L’ajustement de l’aw permet donc, entre autres, de moduler la croissance des bactéries présentes dans un aliment.
Les fromages à pâte molle, comme le camembert ou les Bries, ont un pH et une aw qui, naturellement, crées un environnement favorable à la croissance bactérienne. Advenant le cas d’une contamination bactérienne à la suite de conditions défavorables ( une situation rare, mais qui doit tout de même être considérée étant donné les risques inhérents à celle-ci ), que se passera-t-il si, en plus, la teneur en NaCl est réduite ? L’ aw sera modifiée de manière à favoriser la croissance bactérienne. Il convenait donc de se questionner sur l’impact microbiologique de cette pratique.
Méthode et résultats de l’étude
Pour faciliter l’étude ( c.-à-d. ne pas fabriquer quotidiennement du camembert, un procédé relativement complexe ), celle-ci a été réalisée dans des fromages modèles, reproduisant exactement le vrai camembert. Ce modèle, reconstitué à partir de caillé camembert lyophilisé ( séché ), a donc permis de suivre la croissance de L. monocytogenes – une bactérie du genre Listeria -, en fonction de différentes conditions salines : deux réductions nettes ( -15 et -30 % NaCl ) et deux substitutions partielles du NaCl par du KCl2 ( 15 et 30 % ). Étant donné le caractère pathogène de L. monocytogenes, les recherches ont été réalisées dans un laboratoire à niveau de confinement 2 ( sur une échelle de 5 différents niveaux de bioconfinements, tel que prescrit par l’Agence de la santé publique du Canada ).
Étonnamment, les résultats ont démontré qu’un camembert réduit de 30 % de NaCl ne favorisait que très peu la croissance de L. monocytogenes par rapport à un fromage sans réduction ( donc à teneur standard en NaCl ). Aucune différence n’a été perçue pour la réduction de 15 % en NaCl alors que les substitutions par du KCl se sont aussi avérées surprenantes. En effet, l’utilisation de KCl a légèrement inhibé la croissance du pathogène ! Que doit-on en conclure ? En plus d’être moins néfaste pour la santé que le NaCl, le KCl nous protégerait, dans une certaine mesure, de la croissance de L. monocytogenes dans le camembert.
Bref, la barrière apportée par la présence de sodium dans un camembert serait moins importante que nous l’aurions cru à l’égard de la croissance de L. monocytogenes… une conclusion qui va dans le même sens que les travaux du Professeur Shrestha, de l’ Université de l’Utah. Des résultats étonnants qui pourraient être très avantageux pour notre santé. À suivre !
1 chlorure de sodium
2 chlorure de potassium