Courtoisie: Flickr, Gianfranco Goria, creative commons

Nous n’avons pas tous le même ancêtre

Une découverte qui réécrirait l’histoire humaine a récemment fait les manchettes dans la communauté scientifique. Après qu’un Afro-Américain ait soumis son ADN à une société spécialisée dans l’analyse génétique pour retracer les racines familiales, des chercheurs ont découvert que son ancêtre vivait il y a déjà 338 000 années, alors que l’homme moderne ne serait apparu sur Terre qu’il y a 200 000 ans. C’est ainsi que la découverte et l’analyse du chromosome Y d’Albert Perry fait repousser l’existence de notre ancêtre commun le plus récent de pratiquement 150 000 ans !

Valérie Désyroy
Chef de pupitre sciences

Courtoisie: Flickr, Gianfranco Goria, creative commons
Courtoisie: Flickr, Gianfranco Goria, creative commons

Contrairement aux autres chromosomes humains, la majorité du chromosome Y, spécifique aux hommes, ne peut échanger de matériel génétique avec les autres chromosomes. C’est cette particularité qui permet de retracer plus facilement les relations ancestrales entre les lignées contemporaines. Si deux chromosomes Y portent la même mutation, c’est parce qu’ils ont partagé un ancêtre paternel commun, à un certain moment dans le passé. Plus il y a de mutations qui diffèrent entre deux Y, plus lointain se trouve l’ancêtre commun.

Un chromosome Y inconnu

À la mort d’Albert Perry, un Afro-Américain de la Caroline du Sud, l’ADN de ce dernier a été envoyé par la famille à la firme spécialisée Family Tree DNA, dans l’espoir d’esquisser l’arbre généalogique de la lignée. Pratique plutôt courante chez nos voisins du Sud. Les généticiens de cette entreprise ont toutefois eu la surprise de leur vie lorsqu’ils ont observé que la séquence génétique d’Albert Perry ne correspondait à rien de connu. Pour la première fois il a été reconnu que le chromosome Y ne provenait pas du plus premier ancêtre masculin commun, un homme qui vivait en Afrique il y a 138 000 ans.

Les conclusions de cette surprenante découverte ont été publiées dans l’ American Journal of Human Genetics ( AJHG ). Fernando Mendez, un chercheur postdoctoral dans le laboratoire du Professeur Hammer à l’Université de l’Arizona, a mené l’effort d’analyser la séquence d’ADN, qui comprenait plus des 240 000 paires de bases du chromosome Y.

Puisque l’homme moderne n’est apparu qu’il y a environ 200 000 ans, comment Albert Perry a pu être porteur d’un chromosome Y provenant d’un Homo « archaïque » ( par opposition aux Homo sapiens, littéralement « homme savant », ou homme moderne ) ? La seule explication plausible serait que l’histoire de notre évolution n’est pas linéaire comme on le croyait, mais plutôt truffée de ramifications, dont les branches se croisent, se décroisent, se retrouvent… Ainsi, l’ancêtre Homo sapiens dont proviendrait Albert Perry se serait « mélangé » avec un Néandertal « archaïque », un groupe ethnique qui a aujourd’hui disparu, mais qui aurait pu transmettre son chromosome Y grâce à ce croisement. Un chromosome, donc, qui se serait transmis de père en fils jusqu’à aujourd’hui !

Que sont devenus les hommes de Néandertal ?

Les Néandertaliens se seraient séparés de la lignée humaine ancestrale il y a environ 300 000 ans. L’homme anatomiquement moderne diffère de cette lignée archaïque par un squelette plus léger dans sa construction, un visage plus petit caché sous un front haut, l’absence de crête crânienne et un menton plus fin.

Les chercheurs pensent que l’incapacité des hommes de Néandertal à chasser de petits animaux comme les lapins a conduit à leur disparition. Longtemps, leur extinction a été attribuée à une pénurie de nourriture disponible. On pense aujourd’hui que c’est cette impuissance à s’adapter à la chasse au petit gibier qui leur a été fatale, à un moment où la population des grands animaux a drastiquement diminué. Il a fallu attendre 130 000 ans avant que les humains anatomiquement modernes fassent leur apparition, comme en témoignent les archives fossiles.

Et ce nouveau chromosome Y, ou est-il présent ?

Grâce à des recherches à partir des bases de données de grande taille, l’équipe du Professeur Hammer à finalement été en mesure de trouver un chromosome Y similaires dans les Mbo, une population vivant dans une petite zone de l’ouest du Cameroun, en Afrique subsaharienne. Le chercheur souligne à quel point ce résultat est surprenant, car auparavant, les branches les plus divergées du chromosome Y ( donc les plus anciennes ), avaient été identifiées chez les populations traditionnelles de chasseurs-cueilleurs, tels les Pygmées et Khoïsans à « langues à clics ». C’étaient donc ces populations qui étaient considérées comme les plus humainement divergées.

Quelles conclusions pour l’espèce humaine ?

Le Professeur Hammer termine en décriant le concept populaire voulant que toute l’humanité descende d’une paire d’êtres humains ayant vécu à un certain moment dans l’évolution humaine ( en référence à Adam et Ève de l’Ancien Testament ). Il attire l’attention sur le fait qu’ « il y a eu trop d’importance à ce sujet dans le passé. C’est une fausse idée que la généalogie d’une seule région génétique puisse refléter les divergences de la population. Au contraire, les résultats suggèrent qu’il existe des foyers de populations isolées génétiquement, qui, ensemble, parviendraient à préserver une grande partie de la diversité humaine ». Il conclut en mentionnant qu’il est probable que d’autres lignées divergentes existent, soit en Afrique ou chez les Afro-Américains aux États-Unis, et que certaines d’entre elles pourraient encore faire reculer l’âge de l’arbre chromosomique Y.

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