Selon une étude publiée en juillet dernier, les eaux profondes de l’estuaire du Saint-Laurent se sont acidifiées de manière importante depuis quelques décennies. Les causes de ce changement sont encore obscures, mais les effets pourraient bien vite se faire sentir.
André-Philippe Drapeau Picard
Les résultats obtenus par une équipe de quatre scientifiques de différentes institutions québécoises, publiés dans Atmosphere-Ocean, mettent en évidence une réalité surprenante : le fond de l’estuaire maritime du Saint-Laurent s’acidifie plus rapidement que la moyenne des océans.
Leurs données ont été récoltées en différents points entre Trois-Pistoles et l’Île d’Anticosti, à des profondeurs allant jusqu’à 300 mètres. Les chercheurs ont ensuite comparé leurs mesures à celles prises entre 1934 et 1935 par le personnel de l’Université Laval basé à Trois-Pistoles, et à celles d’une autre étude publiée en 1985. Ils ont constaté qu’en 75 ans, la valeur du pH des eaux profondes de l’estuaire maritime du Saint-Laurent a baissé de 0,2, c’est-à-dire une hausse de 60 % de la concentration d’ions H+. Il s’agit là de ce à quoi on s’attend, au cours du prochain siècle, pour les océans.
Ces derniers absorbent une bonne partie du CO2 présent dans l’atmosphère. Une fois dans l’eau, celui-ci se dissocie en acide carbonique. La présente acidification des océans est le résultat de l’augmentation de la concentration CO2 anthropique rejeté dans l’air.
Effet anthropique indirect
Toutefois, comme cette absorption s’effectue en surface seulement, elle ne peut expliquer la baisse de pH enregistrée au fond l’estuaire, puisque celui-ci est isolé de l’atmosphère par plusieurs dizaines de mètres d’eau. Les chercheurs pensent donc que le CO2 métabolique, et non anthropique, pourrait être la cause de cette acidification. Le CO2 métabolique est celui produit par la respiration des organismes, en l’occurrence les bactéries vivant sur le plancher de l’estuaire et se nourrissant de débris organiques.
L’activité humaine a peut-être un effet sur ces derniers, puisqu’elle augmente la quantité de nutriments disponibles dans le Saint-Laurent, favorisant de ce fait la croissance du phytoplancton, qui nourrit le zooplancton. À son tour, celui-ci est mangé par d’autres animaux, qui finissent par mourir, couler au fond de l’eau et être décomposés par lesdites bactéries. Il s’agit là d’une hypothèse qu’il faudra vérifier.
Les effets attendus de cette acidification, qui devront eux aussi faire l’objet d’études ultérieures, comprennent notamment des problèmes pour les organismes calcificateurs comme les mollusques, les échinodermes et les crustacés.
Crédit photo : Pascal Huot