Photo : ULaval

La campagne revue et corrigée avec Thierry Giasson

La campagne municipale 2017 à Québec s’est déroulée sans controverse, malgré la présence dans l’arène politique de deux caractères forts et colorés (les candidats Labeaume et Gosselin), en plus d’une formation expérimentée pour affronter l’administration sortante (Démocratie Québec). Cela n’aura toutefois pris que 11 minutes pour confirmer la réélection de Régis Labeaume. Impact Campus revient sur cette « non-campagne » en compagnie de Thierry Giasson, professeur et spécialiste de la communication politique à l’Université Laval.

 « Il y a eu des moments de communication, des débats, des entrevues données aux grands médias. Il y avait une présence physique, un récit médiatique, mais la campagne n’a pas été super emballante. Ça n’a pas attiré ou mobilisé les gens », analyse Giasson d’entrée de jeu.

À l’image des autres villes de la province, la mobilité a été un élément central de la dernière campagne à Québec. « Le contexte a forcé les acteurs politiques à prendre acte de ce que les gens vivent au quotidien. La mobilité, c’est un problème pour tout le monde dans toutes les grandes villes, et aussi dans les régions éloignées qui sont mal desservies par le transport en commun. »

Cette popularité des enjeux liés au transport s’explique aussi par l’organisation des villes qui devient désuète par rapport au mode de vie des québécois(e)s. « On veut que les gens puissent se déplacer rapidement, vers le travail, mais aussi vers la vie culturelle, explique-t-il. Ce qui est particulier, c’est que pour la première fois en 2017, c’est devenu saillant partout. C’est indicatif du fait que le Québec est une société post-industrielle. »

Même problème, cadrages multiples

La mobilité, bien qu’elle concerne tout le monde, est vécue de façon différenciée selon les espaces urbains occupés. Cela entraine des difficultés lorsque vient le temps de réaliser des projets d’envergure, car ces besoins et ces représentations sont difficilement conciliables. « On n’a pas bien pensé le développement de notre société, déplore Giasson. On est prisonnier de ces situations là aujourd’hui. Avec des gens qui ont des conceptions de leur occupation du territoire et de la citoyenneté qui sont complètement différentes. »

Ces conceptions différentes et régionalisées ont été exploitées au cours de la campagne, en particulier par la formation Québec 21, qui tentait d’élever le débat du 3e lien en référendum. « Ce n’était pas un projet consensuel qui mettait de l’avant le compromis. C’était très clair que ce parti était beaucoup dans une dynamique de nous contre les autres, dans un discours de ressentiment. Ça s’est incarné même un peu aussi physiquement dans certaines interventions du candidat. Il s’est fait reproché dans la presse d’avoir incarné cette agressivité. »

L’éléphant dans la pièce

Malgré une place prépondérante dans l’actualité locale de la dernière année, les enjeux d’immigration et d’intégration ont brillé par leur absence pendant la campagne. Un élément « dommage », mais « pas surprenant» selon Thierry Giasson.

« Quand tu as trois personnes blanches qui sont à la tête des trois partis, tu ne vois pas le problème. Ce n’est pas encore un enjeu énorme à Québec la diversité. J’ai l’impression que les gens n’ont pas voulu saisir le caractère raciste et xénophobe de ce qui s’est passé au centre culturel islamique en janvier. »

Le travail de cadrage médiatique et politique qui a suivi ces évènements a eu pour effet d’en minimiser la portée, alors que les leaders de la communauté musulmane de Québec tentaient d’exprimer les difficultés auxquelles ces personnes font face au quotidien. Les acteurs politiques ont condamné le geste, mais en refusant d’y reconnaitre un caractère social.

« Il y a eu plusieurs actes haineux. Il y a des gens racistes en ondes à Québec qui encouragent et banalisent ces gestes par le bien de l’humour. Mais le discours officiel dit toujours : c’est la marge, ce sont des hurluberlus. Tant qu’on dit ça, on ne tente pas de guérir la situation. »

Bien que les médias aient une part de responsabilité dans la transmission de la peur de l’autre, il faut aussi se tourner vers la composition de la ville, qui limite les rencontres interculturelles. « Tant et aussi longtemps que les gens ne sont pas exposés à la diversité, leur grille de lecture va se faire à partir de leur expérience immédiate : celle de gens blancs, dans une banlieue blanche ou tout le monde parle français et mange du pâté chinois. »

L’augmentation des flux migratoire est toutefois constitutive des sociétés contemporaines et devra être adressée par les différents paliers de gouvernement. « On vit dans une réalité mondiale qui fait du Québec et du Canada des endroits qui sont des lieux d’immigration envisageables pour des populations qui cherchent un refuge, explique-t-il. La ville change. Elle est plus diversifiée, notamment en raison de l’Université Laval et des grappes industrielles. Elle change car c’est une ville importante, avec une qualité de vie exceptionnelle et le plein emploi. »

Apprendre la politique municipale

Si le recomptage lui confirme son élection, le « candidat d’une seule idée » devra maintenant camper un rôle dans l’opposition officielle. « Jean-François Gosselin aura une tribune et une plateforme. On va le voir s’opposer beaucoup. Ça semble au cœur de sa personnalité. Il est un fighter. Il va être confronté à quelqu’un qui incarne aussi ce personnage. On va être souvent dans des luttes de coqs qui parlent sans vouloir s’entendre.»

Québec 21 bénéficiera d’un droit de parole et d’une visibilité, qui viendra aussi avec la responsabilité de mettre à l’épreuve les projets de l’administration Labeaume. «Il va faire ses classes, indique-t-il. Il n’a pas l’air d’avoir une connaissance fine des chiffres et du fonctionnement de la ville. Il y aura une prise de conscience du fonctionnement, et peut-être moins d’interventions musclés. »

Selon Giasson, le chef de l’opposition devra par ailleurs exercer un devoir de réserve, notamment dans sa relation avec les stations de radio, des « machines très à l’aise avec ce qu’il propose et défend », afin d’éviter de se placer en conflit d’intérêt « avec ces entreprises privées, qui défendent leurs intérêts selon des projets politiques concrets. »

Cette proximité entre la radio et un candidat n’est pas nouvelle et créé un climat de complaisance. « Ce qui est spécial, c’est qu’à la première élection de Régis Labeaume, c’était lui, Jean-François Gosselin. On se rend compte que dans les questions, mais aussi le contexte où l’on reçoit le candidat, c’est super convivial. Il jouissait d’un accueil où l’on se parle comme des amis, on se tutoie. »

Pour aspirer à être l’opposition officielle, la formation politique devra ainsi garder ses distances, même si la stratégie politique porte fruit. « Quand je regardais les pancartes de Québec-21, j’avais l’impression de voir le logo du FM93, s’inquiète Giasson. Le jupon stratégique dépasse. Ils sont allés au bout de l’exercice, consciemment ou non. »

L’Université dans la ville

Mis à mal par l’administration Brière, les ponts entre l’Université Laval et la classe politique sont à reconstruire. « Depuis dix ans, la collaboration n’existait plus. L’ancienne administration s’est beaucoup isolée des structures politiques. » Le professeur, tout comme ses collègues, se dit ouvert à faire bénéficier la société d’un retour sur « l’investissement » placé en lui pendant ses études, en prenant part au débat public et en participant à la gouvernance.

L’ouverture doit toutefois se faire des deux côtés. « Ce qui est problématique, c’est d’avoir un chef de l’opposition qui semble avoir une compréhension de la science particulière, où il la confond avec des opinions, dénonce Thierry Giasson. Une preuve qui multiplie les observations, qui identifie des tendances et qui peut faire de la prospective, ce n’est pas une opinion. »

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