Après des décennies plus difficiles de décroissance et d’exode, St-Sauveur reprend son souffle. Depuis quelques années, comme beaucoup d’anciens quartiers ouvriers, sa population augmente graduellement et un renouveau commercial s’opère. Ce renouveau n’est pas sans conséquence. Il s’annoncent parfois de manière déchirante. Pour permettre de mieux comprendre les émotions susjacentes, Dale Gilbert qui détient un doctorat en histoire à l’Université Laval, ouvre une fenêtre sur le passé du quartier.
Le 25 janvier dernier, l’historien a été invité par la Société d’Histoire Les Rivières pour donner une conférence sur l’héritage ouvrier de Québec. Il démystifie ainsi l’attachement que voue les populations à certain lieux dans un coin de la ville en ébullition tranquille.
Un quartier de clochers
Comme partout au Québec, les vestiges religieux sont encore présents au sein du quartier. Selon M. Gilbert, dans les sommets de sa forme, St-Sauveur ne dénombrait pas moins de sept églises entassées entre le coteau Ste-Geneviève, la rivière St-Charles, le boulevard Langelier et l’avenue St-Sacrement.
Ce n’est pas surprenant, selon l’historien, à son plus haut en 1940, St-Sauveur dénombrait environ 40 000 habitants. « C’est deux fois plus que St-Roch à la même époque », remarque-t-il. Cette grande densité au sein du quartier est largement dû aux perspectives d’emploi dans le secteur industriel.
« Plus de paroisses permettent aux autorités religieuses d’avoir plus de contrôle sur les populations », affirme M. Gilbert, dévoilant l’astuce. Selon ses dires, afin de contrer l’offre des activités «immorales» de St-Roch, les autorités religieuses doublent leurs efforts pour animer la vie paroissiale et offrir une immense diversité d’activités.
« Malgré un niveau de vie peu élevé, la vie paroissiale devient très riche dans les 1920 à 1940, ce qui donne un grand sentiment d’appartenance à la population », affirme l’historien. Il explique qu’au delà du culte, les églises se transforment en des réalisations collectives et des lieux de mémoire.
Exode
La deuxième moitié du 20e siècle est moins clémente avec le quartier populaire. Selon M. Gilbert, la population chute. Les églises tombent à mesure que les paroisses s’essoufflent. Des sept, il n’en reste maintenant que trois encore debout.
Beaucoup partent vers les banlieues alors que d’autres voient leur logis, considérés comme des taudis, détruits. « Il faut aussi faire de la place aux automobiles », indique l’ancien étudiant de l’UL. C’est dans cette optique qu’un côté de rue en entier est rasé pour élargir ce qui deviendra le boulevard Charest.
« Dans les années 50, il y a aussi des grands changements d’habitude et de consommation avec l’arrivée des centres d’achat et des supermarchés », souligne-t-il. En conséquence, plusieurs commerces plus locaux des quartiers centraux ferment. Selon M. Gilbert, il devient difficile de faire compétition à ces nouvelles tendances et aux espaces de stationnement.
Cette accumulation de facteurs donnent un dur coup à la vie de quartier. « Les grandes transformations ébranlent le sentiment d’appartenance », affirme l’historien, expliquant aussi la perte de vitesse des centres communautaires, autrefois au coeur de la vie paroissiale.
Regénèse
Beaucoup de gens sont toutefois restés dans St-Sauveur. Maintenant qu’un certain désir de renouveau s’impose dans le quartier, les inquiétudes planent quant à l’avenir de certains des anciens hauts lieux du quartier.
Plus récemment, l’an passé, c’est la destruction du Centre Durocher qui avait semée beaucoup de colère et de tristesse. Le détenteur d’un doctorat en histoire reconnait la fierté qui était associé à ce genre de lieux. « Les centres communautaires et les églises sont des lieux de souvenir et des symboles dans la vie des gens du quartier », indique-t-il.
Ils y a aussi des changements démographiques qui s’opère. Autrefois, étant un quartier majoritairement francophone et catholique, une diversité s’installe peu à peu. « St-Sauveur avec ses logements plus abordables devient attirant pour les immigrants et les étudiants », souligne M. Gilbert. C’est largement grâce à cet attrait que la population du quartier recommence à augmenter.
Visiblement, la présentation de l’historien a été efficace et en a ému plus d’un dans la petite salle de la bibliothèque Aliette-Marchand à Vanier. « J’avais l’impression de revivre une partie de ma vie », déclare même l’un des spectateurs.
Toujours dans l’ombre de son grand frère, le quartier St-Roch, l’effervescence a tout de même traversé à l’Ouest du boulevard Langelier. Peut-être qu’une certaine sensibilité historique pourrait guider un développement respectueux de ce quartier de Basse-Ville. Le coup d’œil dans le passé offre de bonne base pour comprendre les dynamiques encore présentes dans l’ancien quartier ouvrier.