Récit d’une course avec un athlète généreux, lucide et respectueux. La preuve : il m’a attendu.
Jeudi 18 décembre 2014, 16 h 30. Le PEPS est bien vide en cette période de l’année. Fin de session oblige, les étudiants ont déserté le centre sportif. Seuls quelques irréductibles continuent de fréquenter les lieux. Parmi ceux-ci, Charles Philibert-Thiboutot, le jeune spécialiste du 1500 m qui complète cette année son parcours avec le Rouge et Or. Ce dernier s’apprête à aller compléter sa deuxième course de la journée, un « jog » de dix kilomètres… auquel je suis convié.
À -1 °C, la température est parfaite pour une course extérieure. Seul bémol : les rues et les trottoirs sont légèrement « slusheux » dû à une récente accumulation de neige. Rien toutefois pour freiner le coureur aujourd’hui âgé de 24 ans. « Dans ces temps-là, je regarde moins le pace », avouera-t-il à la fin de notre rencontre, une quarantaine de minutes plus tard. De toute façon, son kilométrage hebdomadaire d’environ cent à cent-trente kilomètres ne lui laisse pas le choix de composer avec les rigueurs de l’hiver québécois.
C’est d’ailleurs d’entraînement dont il sera question dès nos premières enjambées. Fanatique de course à pied devant l’éternel, je lui fais subir un interrogatoire serré. Ta plus grosse semaine à vie ? « 180 km. » Ta réponse aux charges d’entraînement ? « Je tolère bien les gros volumes, bien que je puisse tourner les coins ronds en accumulant rapidement beaucoup d’intensité. » Es-tu propice aux blessures ? « Non, même si j’ai été aux prises avec quelques-unes récemment… »
Anatomie d’un succès
D’une foulée à l’autre, la conversation dérive rapidement sur les raisons derrière son ascension à titre d’un des meilleurs coureurs de 1500 m au Canada. Comment explique-t-il ce succès que rien ne laissait présager en 2010, lors de son entrée dans l’équipe d’athlétisme du Rouge et Or ?
« Il y a indéniablement une part de talent – j’ai toujours été celui qui courait plus vite et plus longtemps que les autres, avoue-t-il. Mais, au-delà de ça, il y a aussi le plaisir qui rentre dans l’équation. J’en ai toujours eu à faire du sport, et ce même si je n’étais pas le meilleur. »
Ultimement, c’est à son éthique de travail que le coureur attribue sa réussite. « J’ai appris très tôt à ne jamais manquer d’entraînement, à moins de circonstances exceptionnelles. C’est une qualité essentielle pour réussir en athlétisme », soutient-il. À ce chapitre, il donne l’exemple de ses coéquipiers Benjamin Raymond, Dany Racine et Nicolas Morin, « des monstres de discipline et de rigueur ».
Quelle relation entretient-il avec Félix-Antoine Lapointe, l’entraîneur-chef du Rouge et Or ? « Nous avons en quelque sorte grandi ensemble, lui comme coach et moi comme athlète. Nous avons fait nos erreurs et célébré nos victoires en même temps. C’est en grande partie grâce à lui que Laval est aujourd’hui reconnue comme l’une des puissances en athlétisme au Canada. »
Lucidité
Entre deux halètements, je ne peux m’empêcher de lui poser la question qui brûle toutes les lèvres : se voit-il concourir à Rio en 2016 ?
« Bien honnêtement, je n’aime pas trop me projeter dans l’avenir, surtout en ce qui a trait à mon hypothétique participation à ces Jeux olympiques. Beaucoup le font et, lorsqu’ils n’atteignent pas leurs objectifs, se démotivent. Aussi, j’ai compris très vite qu’il était plus judicieux pour moi de garder les attentes à un niveau raisonnable plutôt que de parler à travers de mon chapeau », explique-t-il.
Car, très tôt dans son parcours universitaire, l’athlète a été exposé aux micros et aux caméras des médias. Cette attention aussi soudaine qu’inattendue, il a dû apprendre à vivre avec. « Au début, ça m’intimidait. Je vivais une sorte de syndrome de l’imposteur. Je ne savais pas vraiment si je méritais ma place et l’attention qu’on m’accordait. »
« Avec le temps toutefois, j’ai fini par comprendre quel était mon rôle, ce que je devais dire et ne pas dire. Bref, j’ai compris quelle était la game et comment je pouvais y jouer pour que ce soit à mon avantage », lance celui qui a étudié, entre autres, en relations publiques.
La suite ?
Son parcours universitaire avec le Rouge et Or tirant à sa fin, Philibert-Thiboutot commence à songer à son après-carrière. Au travers de sa recherche de commandites et la poursuite de son entraînement, le coureur souhaite néanmoins continuer à graviter autour de l’équipe.
« Les années que j’ai passées avec le Rouge et Or ont contribué à me forger comme individu. Je me sens ici comme dans ma famille », conclut celui à qui il ne reste que quelques mois à porter fièrement le titre de capitaine d’équipe.