Une table ronde était organisée le 13 février dernier à l’Université Laval par les étudiants du baccalauréat en science politique inscrits au séminaire de 3e année Essor et déclin des grandes puissances. Quatre experts étaient réunis dans un but : déterminer qui allait devenir le prochain leader mondial.
L’évènement rassemblait Jonathan Paquin, directeur de la revue études internationales, Gérard Hervouet, directeur du Groupe d’étude et de recherche sur l’Asie contemporaine, Aurélie Campana, directrice de l’équipe de recherche sur les terrorismes et les extrémismes ainsi que Louis Bélanger, directeur des hautes études internationales.
Les États-Unis, ou l’empire en déclin
C’est d’abord Jonathan Paquin qui ouvre la discussion en présentant un livre, America Unrivaled. Ce livre publié en 2002 présente les États-Unis comme une puissance telle que jamais la terre n’en a vu auparavant autant sur le plan militaire, économique, technologique, culturel et politique. La plupart des contributeurs du livre en arrivent à la conclusion qu’un nouvel équilibre mondial est très improbable et que les États-Unis resteront numéro un encore longtemps.
Le professeur continue en présentant un deuxième ouvrage, World out of balance. Publié en 2008, celui-ci tente d’expliquer la façon dont se dessine le nouvel ordre mondial. En effet, les États-Unis n’ayant pas de réel rival depuis la fin de la guerre froide, la théorie de l’équilibre des puissances ne fonctionne plus. Une nouvelle théorie en émerge donc, la théorie du soft balancing. Plutôt que d’avoir un monde caractérisé par un équilibre des puissances militaires, le nouveau climat mondial s’organise autour de l’équilibre des puissances « douces » comme l’attractivité d’un pays, son influence politique ou culturelle.
Avec l’objectif d’illustrer le déclin de l’empire américain, il présente un dernier livre, Is the American Centurie Over publié en 2015. Bien que l’auteur n’arrive pas à la conclusion de la chute prochaine des Américains, le titre même du livre indique que l’on remet en question la suprématie du pays.
À ce sujet, le professeur explique que la présidence de Trump n’est pas le premier facteur qui remet la place des États-Unis en doute, mais qu’elle a certainement un effet d’accélération sur le changement de puissance. Les États-Unis ne sont plus aussi attirants qu’avant et leurs alliés n’ont plus la même confiance, rappelle l’expert.
La Chine, ou le géant fragile d’Asie
Gérard Hervouet a continué la discussion en abordant la situation de la Chine qui, statistiquement, semble avoir tout ce qu’il faut pour pouvoir devenir la prochaine puissance mondiale. En effet, la Chine possède une grande population, une économie forte, classée premier pays au monde pour le PIB à parité de pouvoir d’achat selon la banque mondiale et une croissance de 7 % par an. Et pourtant, de grands doutes persistent quant à son ascension.
Le professeur insiste sur trois points qui remettent grandement en question la position du plus riche pays d’Asie. Premièrement, la puissance du parti communiste chinois qui s’impose dans toutes les sphères de la vie de ses citoyens. Ensuite, les inégalités économiques sont énormes en Chine. Alors que certains privilégiés sont très riches, une bonne partie de la population vit dans des conditions plus que difficiles, explique l’expert. Finalement, bien que l’économie chinoise soit forte, elle est très centrée sur l’extérieur et ne semble pas servir à améliorer les conditions de vie de la population chinoise.
Pour l’instant, « les États-Unis peuvent dormir tranquilles », conclut Gérard Hervouet.
La Russie, ou le retour difficile sur la scène internationale
Aurélie Campana poursuit avec la Russie. Après avoir été longtemps ignoré en politique internationale à la suite de la guerre froide, la Russie a commencé un lent retour en tant que grande puissance. Se considérant humilié par les Américains et par leurs alliés européens, le gouvernement russe a l’intention de faire contrepoids au modèle étatsunien et semble bien être en voie d’accomplir leur objectif, croit l’experte invitée.
En effet, les Russes sont de plus en plus influents en politique internationale. Si les premiers essais d’influencer l’ONU et le conseil de sécurité n’ont rien donné, la politique russe s’est rapidement tournée vers le lobbying international qui commence à porter ses fruits, surtout au Moyen-Orient, explique Mme Campana. De plus, on assiste à un réinvestissement dans la machine de guerre russe, en préparation à mener une guerre hybride. La Russie semble donc prête à intervenir militairement si elle en ressent le besoin.
D’un autre côté, la directrice de l’équipe de recherche sur les terrorismes et les extrémismes nous rappelle les nombreuses lacunes de la Russie. L’économie russe est très dépendante de ses exportations de pétrole et toute fluctuation du prix du baril pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Ensuite, elle est peu attirante pour les investisseurs étrangers, ce qui vient ralentir sa croissance économique et, tout comme en Chine, les disparités économiques y sont très grandes, ce qui peut causer de vives tensions internes.
Quoi conclure ?
Finalement, que doit-on retenir de toutes ces informations ? À quoi ressemblera réellement l’ordre mondial de demain ? Et bien, on peut en dire deux choses.
Premièrement, Jonathan Paquin estime qu’on peut parier sur le déclin des États-Unis. Selon lui, plusieurs facteurs le confirment. Par contre, bien que nos voisins du sud soient en chute, ceux-ci demeurent premiers par leurs alliances et leur soft power. Aucune puissance ne semble pouvoir les remplacer, pour le moment. Jonathan Paquin conclut en expliquant que le concept même d’équilibre des puissances n’est plus vraiment valable pour expliquer la politique internationale d’aujourd’hui.