Crédit photo : Françoise Conea

[Critique littéraire] Les villes de papier de Dominique Fortier

Inspirée par les vers et les paysages d’enfance d’Emily Dickinson, Dominique Fortier nous offre, avec Les villes de papier, un récit lyrique prenant comme toile d’interprétation l’imaginaire des lieux de vie de la célèbre poète américaine. D’un ton léger et rêveur, l’auteure montréalaise entraine le lecteur dans une narration flâneuse brossant l’état d’âme de la jeune fille mélancolique qui marqua l’Histoire des lettres nord-américaines.

 L’inspiration, une fleur taciturne qui pousse de la terre

 Le livre se présente comme un exercice de style et de forme, rehaussant une trame narrative simple par la richesse de l’expression de la plume de l’auteure. À travers un ensemble de pages dégagées sur lesquelles des courts paragraphes en prose prennent à peine de l’ampleur, un témoignage sensible de la relation incorporelle entre l’auteure et l’œuvre d’Emily Dickinson se dégage. Cette sensibilité est profondément marquée par les environnements ruraux envers lesquelles Emily Dickinson était fortement attachée et auprès desquels elle aura vécu toute sa vie.   Les descriptions s’ensuivent, sa maison prend vie, les jardins de Amherst verdissent et se recouvrent de neige successivement, au milieu du XIXème siècle. Cette petite ville du Massachussetts, à proximité de Boston, aurait fait rêver Dominique Fortier durant l’écriture de son roman. À certains passages, l’écriture s’exprime comme un acte libérateur : on échappe à la vie aseptisée du XXIème siècle, emportés par un récit idéalisé et mélancolique de la vie rurale, en opposition à des réflexions personnelles de l’auteure sur ses expériences vécues lors de son installation à Boston, faisant irruption dans certains passages du récit.

C’est donc l’image d’une vie éloignée dans l’espace et le temps, proche de la terre, tel qu’exprimé à travers les vers de Dickinson, qui auront une influence marquante sur l’imaginaire de l’auteure, et qui auront inspiré le choix du lexique de l’ouvrage.

Une narration avenante à la destination incertaine

La cadence avec laquelle on entreprend la lecture est certainement agréable, avec une organisation du texte en blocs de prose accueillis à l’intérieur de plusieurs paragraphes détachés, ne prenant, par intervalles, que quelques lignes au milieu des pages. Emplis d’un lyrisme amplifié par des figures de style abondantes, des vers successifs prennent des allures de fable, entrecoupés par de nombreuses virgules accueillant dans leurs prépositions rimes et métaphores.

Néanmoins, bien que se montrant comme une démonstration de maîtrise de style et de forme à l’intérieure d’une démarche de création littéraire, le roman propose un contenu vague dont la direction du récit se montre incertaine. Le ton innocent et fantaisiste souhaitant incarner l’état d’esprit d’Emily Dickinson dans sa vie de jeune fille rêveuse, s’allonge au travers de longues pages sans révéler d’évolution profonde de la nature du personnage à travers le temps.

La narration semble tourner en ronds autours des traits éclatés de la personne d’Emily, à travers une sorte d’idéalisation de sa personne, candide et extrêmement taciturne. Le portrait de la poète est infantile, et sa profondeur d’esprit ne sera pas exprimée à la hauteur des vers qu’elle aura écrit.

Les villes de papier offrent une lecture légère de souvenirs nébuleux, où la qualité de l’écriture est mise de l’avant pour délecter et faire rêver le lecteur sans l’entrainer dans l’aventure d’un récit novateur.

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