Photo par Juliette Goudreau

Reconstruire l’histoire : un travail minutieux

François Gagnon s’implique dans des groupes de reconstitution historique depuis qu’il a 16 ans. Il a aujourd’hui 43 ans et est le capitaine et le président de la Garnison de Québec, un groupe qui vise à recréer le quotidien de soldats de la Nouvelle-France ayant combattu lors de la guerre de Sept Ans (1754-1760). Celui qui est conseiller syndical dans la vie de tous les jours a accepté de répondre à certaines de nos questions sur sa passion.

Par Émile Bérubé-Lupien, journaliste multimédia

Impact Campus : Qu’est-ce qui vous intéresse dans la reconstitution historique ?

François Gagnon  : Premièrement, j’ai une formation en histoire. J’ai évidemment un intérêt pour l’histoire en général, mais surtout pour l’histoire du Canada et du Québec. À un moment donné, tu veux aller plus loin dans l’histoire, tu veux la vivre, découvrir comment les gens vivaient à différentes époques. Donc c’est un peu une pratique ethnologique qui est personnelle. J’ai aussi étudié en archivistique et en sociologie du travail. En gros, on tend à revivre, dans une expérience ethnographique, la vie au XVIIIe siècle en Nouvelle-France.

I. C. : En quoi consistent exactement vos activités ?

F. G. : Nous, principalement, on est un groupe militaire. Il y a des groupes de reconstitution qui n’ont pas nécessairement une fonction militaire. Il y a différents groupes de reconstitution, ça peut par exemple être de la reconstitution civile, où les gens [interprètent] des artisans, des corps d’emploi. Nous, principalement, il y a le côté militaire qui nous intéresse. Il y a la vie au XVIIIe siècle, mais aussi toute l’histoire militaire de la Nouvelle-France. Oui, il y a le fait de manger et de s’habiller comme à l’époque, mais il y a aussi le phénomène des batailles et des guerres. La guerre de Sept Ans nous intéresse particulièrement. On a des costumes, des uniformes militaires, de l’armement. C’est une façon de revivre et d’évoquer cette personne-là par des reconstitutions de batailles.

I. C. : Où vous mettez-vous en scène ?

F. G. : Pour la guerre de Sept Ans, beaucoup de batailles se sont déroulées en-dehors du Québec d’aujourd’hui. Les principales batailles et reconstitutions se passent aux États-Unis. On fait les déplacements, on se déplace en groupe. Il n’y a pas juste nous, il y a aussi des Américains, qui sont soit de descendance francophone, ou qui ont un désir de recréer une histoire qui est commune à la Nouvelle-Angleterre et à la Nouvelle-France. On se retrouve avec des Américains qui jouent des Français et devant d’autres qui jouent des Anglais et on reconstitue des batailles comme la bataille de Niagara.

I. C. : Environ combien de personnes les reconstitutions de bataille peuvent-elles rassembler ?

F. G. : Dans les événements de la guerre de Sept Ans, on peut retrouver de 200 à 400 personnes. Il y a des événements qui se sont déroulés pendant d’autres périodes, par exemple pour la Révolution américaine, on peut retrouver des événements qui rassemblent entre 1000 et 2000 personnes. Pour la guerre de Sécession américaine, il peut y avoir entre 3000 et 5000 personnes, voire plus, en uniforme sur un champ de bataille.

I. C. : Et dans votre groupe, combien êtes-vous ?

F. G. : Dans notre groupe, on est une douzaine de soldats cette année. On a un capitaine, un sergent, un caporal, puis des fusiliers, un ou deux tambours dépendamment des événements. On se retrouve aussi avec des gens qui nous suivent, comme nos enfants, nos copines, nos parents, etc. Des fois on peut monter un campement et être une vingtaine de personnes.

 

I. C. : Y a-t-il un profil qui revient plus souvent dans votre groupe ?

F. G. : C’est sûr qu’on a tous une passion commune pour l’histoire, que ce soit pour l’histoire des costumes, l’histoire militaire ou l’histoire de la Nouvelle-France en général. On n’est pas nécessairement des gens qui ont une formation en histoire. On est peut-être un tiers à avoir une formation en histoire. On a aussi des militaires, pour qui c’est devenu une passion. J’ai aussi des enseignants d’informatique et de géomatique. On a des gens qui proviennent de toutes sortes de milieux d’emploi. Ça permet de vivre d’autres choses. Au final, notre point commun, c’est notre passion pour l’histoire. C’est sûr que si quelqu’un qui n’a pas de passion ou d’intérêt pour l’histoire veut rejoindre notre groupe… Si tu aimes juste tirer du fusil, va dans un centre de tir ou va jouer au paintball. Dans notre groupe, ça va plus loin que simplement faire une bataille.

I. C. : Concernant la confection des accessoires et de la recherche, comment est-ce que ça fonctionne ?

F. G. : Tout le monde est libre de faire sa propre recherche. Sauf qu’il y a des gens qui ont des intérêts pour certains aspects, comme pour les uniformes, par exemple. Moi, je m’intéresse beaucoup aux tactiques militaires et au maniement des armes de l’époque, donc je fais des recherches là-dessus et c’est moi qui apporte au groupe ces informations sur le sujet. J’en ai d’autres qui s’intéressent plus aux costumes, aux vêtements, autant civils que militaires et autant masculins que féminins. Tout le monde peut apporter quelque chose. Dans notre groupe, on se questionne beaucoup. Quand quelqu’un apporte une nouvelle source, une nouvelle preuve, un nouvel ouvrage, qui apporte des précisions sur l’époque qui nous intéresse, on va tout de suite s’en inspirer. On se remet constamment en question. Le but c’est de s’ajuster et de s’améliorer pour présenter une reconstitution historique fiable. Ce qui n’est pas nécessairement le cas de tous les groupes. Certains peuvent être moins assidus et se remettent moins en question. Des fois on laisse passer des petites choses, comme des lunettes modernes ou quelqu’un qui est mal rasé. On va quand même dire gentiment que ça ne convient pas aux normes de l’époque, mais on ne va pénaliser personne si certains détails ne concordent pas. Ce n’est pas nécessairement le cas de tous les groupes.

Crédit : Garnison de Québec, Compagnie franche de la Marine
I. C. : Y a-t-il certains défis à la reconstitution historique, par exemple concernant le financement ?

F. G. : Notre groupe est un organisme à but non lucratif. On fait des contrats pour des organismes ou des fêtes historiques. Ça nous apporte un montant qui nous sert à financer nos activités. Ça nous permet par exemple de nous procurer des biens communs, comme des tables, des tentes, ou des auvents, du matériel de reconstitution qui coûte assez cher. Sinon, les uniformes, les vêtements et les armes sont la responsabilité de chaque personne. Il y a des groupes qui fonctionnent autrement et qui fournissent l’uniforme et l’armement de chaque soldat, mais qui imposent certaines restrictions. Par exemple, ces groupes-là vont faire plus de contrats payants, comme des mariages ou des activités dans des salons spécialisés, qui vont nécessiter la présence des membres afin de compenser les frais engagés. Dans le cas de notre groupe, comme chaque membre possède son équipement, tout le monde est libre de l’utiliser comme il l’entend. Dans les autres groupes dont je parlais plus tôt, lorsqu’un membre décide de quitter, il doit remettre son équipement, ce qui n’est pas notre cas.

Pour les vêtements, on fait appel à des couturiers, mais on a aussi des patrons, certains membres peuvent confectionner leur uniforme. Pour les fusils, il y a quelques fournisseurs aux États-Unis, au Canada, il y en a deux. Ayant à débourser une somme pouvant aller jusqu’à 1600 dollars pour leur costume et leur armement, les membres de la Garnison de Québec ne laissent donc pas la question financière empiéter sur leur passion pour l’histoire. Et preuve que celle-ci n’a pas d’âge,aux dires de M. Gagnon, le groupe rassemble des membres âgés de 16 à 65 ans.

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