Votre corps après la mort

[LETTRE OUVERTE]

Chers lecteurs,

Il est fort probable que vous ayez entendu parler de ce qu’il adviendra de votre corps après votre mort. Selon vos mœurs, vous pouvez donner vos organes afin de sauver d’autres vie ou offrir votre carcasse à la recherche pour permettre à la science d’avancer. Il est même possible, si vous avez déjà lu Lorsque j’étais une œuvre d’art, d’Éric-Emmanuel Schmitt, que vous ayez songé à transformer votre modeste véhicule terrestre en moteur morbide pour des créateurs macabres. Cependant, compte tenu la nature repoussante de la mort pour nombre de gens ainsi que la souffrance que les démarches posthumes entraînent, il est fort probable que ces pensées aient effleuré votre tête le temps d’une signature ou d’un rictus pour ensuite repartir flotter dans les airs, béatement, sans conséquence. Eh bien ! Puisque cet air est de plus en plus irrespirable et qu’il est temps, pour sauver la planète, de changer nos modes de vie, il est aussi temps de songer à nos modes de mort ; et si nous commencions massivement à donner nos corps à l’environnement?

De fait, les méthodes traditionnelles pour disposer d’un corps (soit l’enterrement ou la crémation) polluent bien plus qu’on ne le pense. D’un côté, on place sous terre un corps embaumé et possiblement rempli de toxines issues de traitements de fin de vie. Ce qu’il advient de ces substances est qu’elles se retrouvent dans le sol au fur et à mesure que la décomposition avance. Puisqu’un important terrain est dédié à cette pratique, cela réduit considérablement l’espace qui pourrait autrement abriter une faune et une flore plus grande. D’ailleurs, les ressources utilisées sont énormes pour construire des cercueils, des tombes, des caveaux, etc. La crémation non plus ne jouit pas d’un statut très reluisant côté environnemental ! De fait, la quantité d’énergie nécessaire en termes de gaz et d’électricité est énorme. À la suite du processus, des centaines de kilos de dioxyde de carbone sont libérés dans l’atmosphère en compagnie d’autres polluants.

Donc, parmi les premières solutions pour faire face au problème, on retrouve l’enterrement vert, le costume de champignons ou les « récifs éternels ». Cette première méthode ressemble énormément à ce qui se fait habituellement, mais implique des ajustements afin d’éliminer les facteurs polluants mentionnés plus tôt. Lors d’un enterrement vert, entre autres, l’utilisation de fluides d’embaumement est proscrite, la tombe est creusée à la main, le site demeure simple et les corps sont placés dans des matériaux biodégradables. Là, comme le cite ce fameux livre, il est possible de réellement retourner à la poussière et de donner un coup de pouce à la nature en devenant un refuge pour les animaux et les plantes sauvages. La deuxième méthode peut sembler similaire : elle revient au final à se faire dévorer pour la bonne cause par un costume de champignons.

De fait, ces derniers se révèlent efficaces pour absorber et purifier les toxines polluantes se trouvant dans le corps humain. Cela permet ensuite à Mère Nature de se nourrir d’un cadavre pour en grandir. Enfin, pour ceux qui préfèrent Katara à Toph dans la série Avatar, il est possible de contribuer aux récifs de coraux plutôt qu’à la terre grâce à des mesures comme celle d’ « Eternal Reef ». C’est une entreprise où les résidus d’un corps sont mélangés à une substance non-nocive pour l’environnement afin d’être placés dans l’océan pour aider la vie marine à croître en leur offrant un endroit où se nourrir et s’abriter.

Évidemment, il existe pour qui s’y intéressent de nombreuses manières de quitter le monde en lui offrant l’ultime cadeau de ne pas lui nuire et qui, pour être optimales, dépendent de l’écosystème même de l’endroit où le décès est survenu. On s’imagine mal, par exemple, pratiquer en plein centre-ville l’« enterrement du ciel » (Sky burial), qui consiste à offrir aux oiseaux carnivores les restes du mort ! À titre informatif, donc, il est possible de se pencher vers d’autres techniques comme l’« aquamation » ou la « recomposition ». Ce premier processus ressemble à la crémation, mais grâce à l’eau qui présente une efficacité redoutable. Le second vise plutôt à composter l’être humain afin de pouvoir se servir de l’être aimé comme engrais pour semer la vie.

Comme on peut s’en douter, toutes ces techniques ne sont pas absolument parfaites et certaines comportent plus de lacunes que d’autres. Cependant, elles représentent des améliorations à ce qui est actuellement très répandu et n’enlèvent rien au processus de guérison des proches en permettant l’élaboration de rituels personnalisés. Sur ce, j’aimerais vous partager une réflexion née de mes lectures et ce, malgré les oppositions probables causées par les croyances spirituelles auxquelles se rattachent nombre de gens : à une époque où nous insistons auprès du gouvernement afin qu’il prenne plus d’initiatives pro-environnementales et considérant le nombre de personnes qui meurent chaque jour, faudrait-il réglementer la mort afin que tous les cadavres soient disposés d’une manière qui aide l’écosystème local du lieu du décès ?

Par Emmanuelle Marullo Masson, journaliste collaboratrice

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