Photo courtoisie: Alexandre Bernard

Face à la mort, mieux prendre en compte la santé mentale des paramédics

Plus de 5000 paramédicaux exercent au Québec. Si les joies de sauver des vies sont bien réelles, ces femmes et ces hommes en uniforme affrontent également des événements moins heureux. Faire face à la mort est une part non-négligeable de leur profession. Alexandre Bernard, paramédic depuis 8 ans, démystifie cet aspect souvent tabou de son activité.

Par Lucie Bédet, journaliste multimédia

On se rappelle tristement du suicide du policier de l’affaire Guy Turcotte en juillet dernier, ainsi que celui d’une ambulancière présente sur les lieux de l’attentat de la mosquée presque un an plus tôt. Être confronté à l’horreur peut marquer jusqu’à un point de non-retour. Stress, pression et chocs post-traumatiques, les risques de ces métiers sur la santé mentale sont élevés.

Alexandre Bernard côtoie régulièrement des personnes qui vont décéder ou qui le sont déjà. « La fréquence, je ne peux pas vous dire exactement, mais dans une année, des décès, on en a peut-être une trentaine ». Quand on lui demande si la proximité avec la mort le marque au quotidien, il nous répond que non. Pourtant, il est très lucide quant aux différentes émotions par lesquelles lui et ses collègues passent lors d’interventions : « Selon les appels, ça travaille différemment. Si c’est un appel pour faire un transfert de la maison d’une personne vers les soins palliatifs, ce n’est pas la même affaire que si on arrive sur un cas de pendaison. » Dans le premier cas, il se met dans un cadre « plus empathique et vers un confort du patient ». Pour l’autre, il décrit un mélange d’émotions «plus négatives » et d’adrénaline.

« La gamme d’émotions qu’on peut avoir est large, tu peux avoir de la fierté parce que tu réanimes la personne ou le sentiment de devoir accompli. Mais aussi, tu as la tristesse, et parfois tu peux avoir l’image de la personne qui te reste en tête. Les appels peuvent te marquer. Et il y a la culpabilité…» – Alexandre Bernard

Projection, imprévisibilité, culpabilité

La culpabilité se fait sentir quand les paramédics se sentent impuissants, notamment quand des familles refusent un transport en ambulance à cause du coût de déplacement.

« On se dit "j’aurais peut-être dû forcer, j’aurais peut-être même dû payer le 
transport". Un appel comme ça peut affecter autant qu’un appel pour un décès. 
Tu sais que tu laisses un enfant qui fait des convulsions, qui pourrait mourir là. 
Sans tomber dans le choc post-traumatique, ça vient beaucoup travailler, tu 
peux arriver sur d’autres interventions et tu vas continuer de penser à l’appel d’avant. » 
Alors pour aider ces familles, Alexandre Bernard a créé la fondation La Petite Sirène.
La fondation leur vient en aide en payant les sommes associées aux transports en 
ambulance pour les enfants.

Mais la culpabilité, il la raconte aussi à travers l’exemple d’un collègue et ami. Un appel, une femme enceinte en situation de détresse : « Elle avait fait un AVC massif. Ils n’ont rien pu faire. Ils ont massé la dame jusqu’au centre hospitalier, ils ont fait une césarienne d’urgence et ils ont transféré le bébé au CHUL. » Il se souvient qu’il n’y avait pas grand-chose qui avait affecté son collègue, mais que cette histoire était venu le chercher. « Lui-même essayait d’avoir des enfants et il s’est projeté au niveau de sa conjointe. Il se disait « si on avait pu arriver plus tôt… », il retraçait l’itinéraire qu’il avait pris, « si j’avais tourné là, peut-être que j’aurais gagné un trente secondes », il se sentait coupable. »

L’imprévisibilité du métier n’aide pas. Jacinthe Douesnard, psychologue et responsable du laboratoire sur les incidents critiques en milieu de travail, écrit d’ailleurs dans un article que les pompiers, au même titre que les paramédics, sont confrontés « à des situations uniques qui demandent réflexion et décisions rapides. Aussi, la prise rapide de décisions peut-elle parfois semer le doute sur la justesse même de la décision. » C’est ce qu’a peut-être vécu le collègue d’Alexandre Bernard, en plus d’une projection de sa vie sur celle de sa patiente.

Pour Alexandre, se projeter est risqué. « Plus tu avances dans la vie, plus tu as d’expériences, plus ça risque de t’affecter. Si tu as un proche qui décède dans un accident de voiture et que tu te retrouves dans une situation semblable, ça peut te déconnecter ou te fragiliser. »

Traiter les traumatismes

« Des expositions prolongées à la souffrance, à la violence, et à la mort peuvent se révéler être véritablement fragilisantes et génératrices de séquelles psycho-émotionnelles », souligne dans un texte scientifique Cynthia Mauro, docteure en psychologie et autrice de l’article « Clinique d’un métier à risques, dans le quotidien d’un sapeur-pompier ».

Pour traiter ces éventuels traumas, il est indispensable d’avoir en tête les outils qui peuvent aider. « On a comme une sorte de carapace. On peut se dire qu’on ne connaissait pas la personne. Ça ne change pas nos niveaux de soin, mais au niveau de l’approche, se détacher est une piste de solution », soutient Alexandre Bernard.

Crédit : Pixabay

Pour désamorcer une situation, en parler dans les services peut également s’avérer utile. Et pour favoriser des discussions ouvertes, Alexandre explique l’intérêt des programmes de parrainage : « Ce n’est pas le cas dans toutes les compagnies paramédicales mais ici, si tu as un appel qui est dur, tu peux venir en parler à ton « mentor ». On en parle avec la personne, on essaie de comprendre et on peut mettre en avant les démarches et les ressources dont le paramédic dispose. » Ces fameuses ressources, c’est notamment le PAE, programme d’aide aux employés. Concrètement, il s’agit une ligne d’appel mise en place avec le CLSC, disponible 24 heures sur 24 si les personnes en activité souhaitent parler.

Pour des situations qui demandent plus de travail, notamment sur les chocs post-traumatiques, il existe à Québec un autre organisme nommé la VIGILE. Cette maison d’accueil est dédiée aux services d’urgence. Elle vient en aide pour des thérapies ou pour lutter contre des dépendances.

Mais avant même de soigner les maux, il est important de les prévenir.

Prévenir les risques

Pour cela, plusieurs stratégies. Le premier levier est au niveau de l’éducation, lors des formations des paramédics. Alexandre Bernard met en avant une bonne formation pratique mais espère qu’un volet psychologique plus poussé sera intégré aux cours : « Toutes les images que tu peux te faire, c’est difficile à représenter avec un mannequin. Tu es formé pour faire tes protocoles mais tu n’es pas ou très peu formé au niveau psychologique. » Il évoque un cours d’une quarantaine d’heures sur la psychologie, dont seulement quatre durant lesquelles le choc post-traumatique est abordé. « C’est vraiment un survol. Pour moi, il faudrait au moins qu’ils rentrent un peu plus dans le sujet pour dire que l’aide est là et qu’il faut en parler. »

Enfin, sur les lieux de l’intervention, la Coopérative des techniciens ambulanciers du Québec tente une nouvelle méthode : un chien est amené sur les lieux. « Quand il y a de gros appels, très émotifs, comme un accident de la route, ou un enfant décédé. Ils peuvent se rendre sur les lieux de l’appel et dans les centres hospitaliers. C’est comme une sorte de zoothérapie mais dans le fond, c’est simplement pour désamorcer la situation, pour faire ventiler le paramédic. »

Toutes ces mesures viennent en aide aux employés des services d’urgence qui ressentent un traumatisme. Il est alors indispensable de mieux prendre en compte la santé mentale au travail, d’être à l’écoute de ses collègues et de ne pas hésiter à informer sur les ressources disponibles pour aller mieux.

 

Consulter le magazine