Photo: Unsplah, Callie Gibson

Les nouvelles approches en psychiatrie

Des figures connues comme Dickens, Lincoln, Churchill, ont tous souffert d’hallucinations auditives. En effet, entre 4 % et 10 % de la population à travers le monde entendent des voix. 10 % et 39 % de la population ont entendu des voix au moins une fois dans sa vie selon les études de Shergill, McGuire et Murray de 1988. Face à l’inefficacité de la médication sur certains patients, des méthodes parallèles et de nouvelles approches en psychiatrie ont fait leur apparition.

Les entendeurs de voix

En raison de l’inefficacité du traitement par médicamentation sur certaines personnes souffrant de troubles auditifs hallucinatoires, des approches alternatives « hors de la psychiatrie » ont fait leur apparition comme les entendeurs de voix.

Le Mouvement des entendeurs de voix, depuis sa création en 1987 par les psychiatres Marius Romme et Sandra Escher, apprend aux personnes souffrant d’hallucination auditive à vivre avec leur condition. Les entendeurs de voix, présents à l’international, sont une vingtaine à travers le Québec. Les entendeurs de voix permettent aux personnes souffrant du même syndrome de se rencontrer dans des groupes de parole afin d’apprendre à canaliser les voix qu’ils entendent.

Évidemment, c’est une tâche « qui ne se fait pas du jour au lendemain » comme nous l’explique directrice générale de l’Association québécoise pour la réadaptation psychosociale (AQRP), Diane Harvey. Il y a néanmoins de bons résultats selon elle. Elle indique qu’un intérêt tout particulier est apporté « au sens que les individus donnent à leurs voix » et qu’ils cherchent « à interagir » avec les voix des malades. Grâce à ces ateliers, certains participants ont réussi à reprendre le contrôle sur leurs voix. Diane Harvey raconte l’histoire d’un participant qui, grâce aux exercices de gestion des voix, a réussi à limiter ces hallucinations à seulement une heure dans la journée. Ceci lui a permis de redevenir apte à travailler. Une autre patiente, elle, a été en mesure d’écarter les voix négatives pour ne conserver que celles qui sont chaleureuses et encourageantes.

Mme Harvey souligne la particularité « hybride » au Québec, « le réseau public et communautaire vont soutenir les entendeurs de voix et ce n’est pas le cas à l’international » selon elle, où ces réseaux sont très peu solidaires, c’est pourquoi l’une des missions de l’AQRP est d’aider à l’implantation de ces réseaux d’entendeurs de voix.

Les pairs aidants

En outre, les pairs aidants sont une autre méthode alternative soutenue par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les pairs aidants sont des personnes ayant vécu avec des troubles mentaux qui, aujourd’hui rétablies, aident les personnes grâce à leur « expertise personnelle et spécifique » selon Diane Harvey. Ces individus sont présents à travers le Québec et interviennent auprès des « équipes intersectorielles » selon la directrice de l’AQRP, c’est-à-dire dans les équipes de soins communautaires et associatives.

Majoritairement, les pairs aidants sont âgés de 30 à 40 ans. Diane Harvey explique cette tranche d’âge par la nécessité qu’ils aient du recul, « ils doivent être ancrés dans leur rétablissement » lors de leur formation par l’AQRP pour devenir pairs aidants.

En outre, il y a désormais deux volets de pairs aidants, ceux adultes et ceux destinés aux jeunes au sein de l’AQRP. En effet, le ministère de la Santé et des Services sociaux ainsi que l’association se sont donné comme mission de « supprimer la rupture entre les services jeunesse et adulte » qui se concluait, selon Diane Harvey, en une perte de suivi des personnes souffrant de maladies mentales pendant cette transition.

Les défis et contraintes pour les personnes souffrant de troubles psychiques
Par ailleurs, l’une des nombreuses missions de l’AQRP est de permettre aux individus souffrant de troubles psychiatriques de pouvoir réintégrer la société. Comme le souligne la directrice générale de l’AQRP « les gens ne veulent pas se rétablir pour rester à l’hôpital, mais retourner dans leur communauté ». Afin d’arriver à ce résultat, le ministère de la Santé et des Services sociaux, en partenariat avec l’AQRP, militent pour une amélioration « des droits, des services » pour les personnes aux prises avec la maladie mentale, mais aussi de leur entourage, selon Diane Harvey.

En effet, encore aujourd’hui les personnes souffrant de troubles mentaux sont toujours discriminées et stigmatisées. Selon Diane Harvey, il est « nécessaire de faire un virage qui va favoriser l’accessibilité au logement, loisirs et aux divers besoins de la personne ». Or, dans le marché du travail par exemple, « le taux de placement n’augmente pas de manière conséquente » pour les personnes souffrant de troubles mentaux, malgré la pénurie actuelle de main-d’œuvre au Québec, dépeint la directrice de l’AQRP. Ces préjugés viennent souvent de l’ignorance et de la peur, mais « surtout du manque de connaissances (…) et de contact ». Il faut souligner que le dernier plan d’action du ministère de la Santé et des Services sociaux souligne l’importance de cette prise de contact entre les malades et la société pour détruire les préjugés, c’est « une réelle prise de conscience politique », selon la directrice générale de l’AQRP.

C’est pourquoi la méthode des « bibliothèques vivantes » est un bon moyen pour faire comprendre la réalité des maladies mentales. Lors de ces bibliothèques vivantes organisées à travers le Québec, à l’occasion de l’évènement national en mars À livres ouverts, les personnes souffrant de troubles de santé mentale vont à la rencontre du public pour transmettre leur vécu et faire de « leur expérience un enseignement » afin de briser les préjugés, selon Diane Harvey.

La psychiatrie de la jeunesse progresse

Les jeunes sont eux aussi concernés par de réels progrès dans les méthodes de soutien. La directrice générale de l’AQRP nous confie que les jeunes « ont moins de préjugés » et « se mobilisent beaucoup plus (…), car nous nous sommes ouverts à eux ». L’un des exemples majeurs est le programme de promotion et d’intervention YouthNet RéseauAdo (YNRA) basé à Ottawa qui propose des soins alternatifs créés par et pour les jeunes comme du yoga et des ateliers créatifs pour améliorer leur condition psychologique et pour leur apprendre à mieux gérer leurs émotions. En outre, des magazines tel que Fil Jeunesse, qui se définit comme étant « pour et par les jeunes interpellés par la santé mentale », ont fait leur apparition avec le soutien de l’AQRP, pour permettre aux jeunes de transmettre leur expérience.

L’espoir des nouvelles technologies en psychiatrie

Les nouvelles technologies sont aussi prometteuses dans le cadre du traitement de la schizophrénie. À l’aide de la création d’avatars, Alexandre Dumais, psychiatre et chercheur au sein du centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal a observé une diminution significative des hallucinations auditives des patients, plus les avatars créés par les malades étaient fidèles à leurs voix. Cette étude inspirée d’une étude semblable anglaise, vise à traiter les individus souffrant de voix, via la création d’avatars représentatifs de leurs voix. Actuellement, la recherche clinique d’Alexandre Dumais se différencie de celle britannique par l’utilisation de la 3D pour la création des avatars et des patients « de schizophrénie résistante aux traitements » classiques selon Alexandre Dumais. En outre, cette étude comprend aussi l’ajout de séances thérapeutiques.

Les individus de cette recherche ont majoritairement « eu une réponse aux traitements pharmacologiques (…), mais pas au complet », telle que des effets indésirables ou bien à qui il reste des symptômes de schizophrénie. En outre, il s’agit de la deuxième génération de la recherche nommée Avatar 2.0. Les nouveautés sont l’utilisation de casque de réalité virtuelle à la place d’un simple écran au départ, cela « dépend comment la personne est à l’aise avec cette technologie », cependant 5 à 10 % des patients « sont réfractaires à la réalité virtuelle » selon Alexandre Dumais. Néanmoins, il est désormais plus simple pour le patient de créer son avatar seul et très en détail, et capable de se mouvoir dans un espace, à l’inverse de la première génération de l’étude. Toutefois « nous les soutenons beaucoup » précise Alexandre Dumais afin que l’étude soit la plus probante pour les patients.

Les résultats de cette étude sont encourageants, la majorité des patients ont observé une diminution des voix, et ils « reprennent confiance et arrivent à mieux se réguler », voire même pouvoir étudier ou travailler. En outre, quelques cas « des rémissions spectaculaires » selon Alexandre Dumais ont pu être observés, mais ces dernières restent anecdotiques. La suite de la recherche est d’isoler les facteurs des patients qui, dès le début, favorisent ou défavorise le succès du traitement par avatar. En outre, l’étude est toujours en développement afin d’élargir le nombre de patients. Enfin, Alexandre Dumais considère la technologie « comme un outil très utile » dans la psychiatrie, qui permet d’apporter une aide réelle chez certains patients.

De nouvelles perspectives prometteuses

Par ailleurs, d’autres innovations toujours en projet sont porteuses d’espoir pour l’avenir de la psychiatrie et des méthodes alternatives. En effet, de nouvelles études de la directrice de recherche à l’INRA de Bordeaux Lucile Capuron, ont fait le lien entre certains anti-inflammatoires utilisés dans les traitements de cancer et d’hépatites qui provoquent dans 50 % des cas une dépression chez le patient. Ces nouvelles études permettront d’améliorer la prise en charge des malades et de mieux diagnostiquer les états dépressifs.

Pour conclure, malgré la nécessité de conserver les traitements médicamenteux pour soigner les personnes souffrantes de maladies mentales, les nouvelles approches parallèles semblent très prometteuses pour l’avenir des traitements en psychiatrie, mais aussi pour l’écoute de la parole du malade et de son entourage. Néanmoins, des points controversés restent en suspens et nécessitent d’être délibérés comme la question de la légalisation de l’aide médicale à mourir au Canada, pour les personnes souffrantes de troubles mentaux.

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