Le gros business des étudiants étrangers

Par Lucie Bédet, journaliste multimédia

Sur les environ 43 000 étudiants de l’Université Laval cette session, 13 % sont étrangers ou d’origine étrangère. Et si de nombreux étudiants québécois se plaignent des frais liés à leurs études, pour les étudiants étrangers, le prix à payer est encore plus élevé.

Pour beaucoup, ces études onéreuses sont un choix. Et pour cause, dans un tel contexte de mondialisation, étudier à l’étranger est très valorisé. Sur le CV, dans l’entourage, même pour l’épanouissement personnel, passer plusieurs années au Canada quand on vient d’ailleurs, c’est reconnu. Et pour trouver un emploi, ça paie. Mais pour l’instant, ce sont les étudiants qui paient. Entre bourses, exemption de frais, petits jobs et prêts bancaires, chacun y va de sa méthode.

Les exemptions
Zihan Chen bénéficie d’une exemption des frais majorités de l’Université Laval et d’une bourse de scolarité chinoise. Photo par Lucie Bédet

Zihan Chen fait partie des chanceux. Il vient de Chine pour étudier au PhD de sciences géomatiques à l’Université Laval. Comme les autres doctorants, il est exempté des frais supplémentaires demandés aux étudiants étrangers. « L’Université Laval fait payer aux doctorants étrangers le même prix que pour les doctorants québécois. Enfin pas tout à fait, car je paie en plus une assurance obligatoire pour étudiants étrangers. » Avant cette exemption, il aurait dû payer 8 000 $ sa session, mais au début septembre, sa facture s’élevait à 2 966 $.

Les exemptions comme celles-ci sont assez répandues. Sur l’année 2018-2019, à l’Université Laval, 57 % des étudiants étrangers à temps plein étaient exemptés ou partiellement exemptés des frais majorés, selon Jean-François Beaudoin, agent au Bureau de planification et d’études institutionnelles. Ces exemptions peuvent s’appliquer dans plusieurs cas : grâce à une entente entre le Canada et le pays d’origine de l’étudiant, notamment avec la France, la Chine ou la Communauté française de Belgique, pour certains niveaux d’études, comme ici, au doctorat ou enfin, grâce à un statut d’immigration particulier (réfugié, personnel diplomatique et famille à charge d’un ressortissant étranger ayant un permis de travail).

Les bourses

En plus de cette exemption, Zihan fait partie des 2 500 étudiants chinois qui ont obtenu une bourse de la Chine pour réaliser un doctorat au Canada. Le montant est assez confortable et lui permet de couvrir toutes ses dépenses courantes (loyer, alimentation, frais de scolarité et quelques sorties). « L’Université Laval offre l’exemption des frais supplémentaires et le programme de bourses chinois me paie une partie du coût de mes sessions, une bourse pour les frais quotidiens, l’assurance maladie et deux billets d’avion.»

La contrepartie de ces quatre ans financés par la Chine ? À l’issue de ces études, Zihan doit rentrer pour travailler au moins deux ans dans son pays. Mais les démarches de bourses demandent parfois qu’on se renseigne, qu’on prenne le temps de faire toutes les demandes. Kevin Somé a fait le choix de ne pas en chercher. « J’y ai pensé, mais j’ai l’impression que c’est beaucoup de procédures. » Sans bourse, le montant de sa session est de 7 812 $ :  « Pour les deux sessions, cela tourne autour de 17 000 $ ».

Pourquoi de tels montants pour les étrangers ?
Les étudiants étrangers paient en réalité le tarif québécois, auquel s’ajoute des 
montants forfaitaires exigés par le Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement 
supérieur (MEES), puis l’assurance obligatoire. Dans la plus récente législation, 
le MEES laissait le choix aux universités québécoises de fixer les montants 
forfaitaires demandés aux étudiants étrangers pour le 1er cycle. L’Université
Laval a donc fixé ses tarifs : un cours de trois crédits au baccalauréat coûte 
328,95 $ aux étudiants Québécois, il en coûte en moyenne 2 008 $ à un étudiant 
étranger. Cette marge, depuis l’automne 2019, va directement dans les caisses de 
l’Université, car le Ministère ne récupère plus les montants forfaitaires payés
par ces étudiants de 1er cycle.

Pour ce qui est du 2e et du 3e cycle, en plus du coût initial des crédits, le MEES 
exige entre 396 et 450 $ par crédit pour les internationaux. Les cours de trois 
crédits valent alors autour de 1 727 $ pour les étudiants internationaux. Petit
détail qui fait tout de même une différence : le Ministère laisse une marge de 
10 % aux universités sur les montants supplémentaires. L’Université Laval place sa 
marge au maximum et récupère en moyenne sur chaque cours d’un étudiant étranger 
127 $. Officiellement, ces fonds servent à financer « les coûts relatifs à la
promotion, au recrutement et à l’encadrement de ces étudiants ». Toutefois, après 
nos nombreuses demandes d’entrevue, personne de l’Université Laval n’a été en 
mesure de répondre à nos questions et de nous confirmer où était redistribué 
exactement l’argent des étudiants étrangers.

Une telle somme est compliquée à rassembler pour un étudiant. Bien souvent, le principal apport financier provient de la famille. Kevin ne détonne pas à la règle : « C’est mon père qui paie tout, les frais scolaires, les frais généraux. Avant de me lancer dans les démarches, j’en ai parlé à mes parents, à combien les frais s’élevaient… Ça n’a pas été un problème, mais ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. »

Pourquoi choisir le Canada si les études sont si chères ? Cet étudiant en maîtrise du droit des affaires avait d’abord pensé à aller en France, pour des études bien moins onéreuses. Comme lui, Mehdi, étudiant à la maîtrise de géomatique, y avait réfléchi : « Par rapport à la France, c’est sûr que les études sont chères, mais je suis venu pour faire de la recherche, car il y a ici des technologies qui m’intéressent. Il y a aussi un avantage qui nous incite à venir ici : c’est la résidence permanente. Il y avait une voie claire dans la réglementation pour avoir la citoyenneté. »

Mehdi aussi repose sur sa famille pour payer les 10 700 $ de sa première session. « Je n’avais pas planifié de payer cette somme d’argent, mais mon directeur de recherche m’a conseillé de suivre certains cours, ça a beaucoup augmenté mes frais. »

Il bénéficie d’une bourse de recherche de 5 000 $ par session, a le soutien financier de ses parents et pour la dernière part, il a emprunté de l’argent à un membre de sa famille. « Il n’y a pas d’intérêts, c’est ça qui m’arrange. Je rembourserai une fois que je serai sur le marché du travail », explique-t-il.

Comme beaucoup d’étudiants internationaux, Kevin Somé est soutenu financièrement par sa famille. Photo par Lucie Bédet
Travailler, ce plus qui ne vaut pas le « coût »

« Au début de la session, j’ai travaillé pour couvrir les frais de nourriture et avoir un peu plus d’argent » raconte Mehdi, mais selon lui, cela affectait trop ses études. Trop de fatigue, pas assez de concentration sur ses études, il a décidé d’arrêter : « Je paie 10 700 $ par session, est-ce qu’il est logique de sacrifier des cours qui t’ont coûté 3 000 $ chacun pour travailler et avoir 300 $ par semaine au maximum ? Je ne pense pas. »

Même schéma pour Kevin, qui a abandonné son emploi étudiant également : « Mieux vaut que je me donne à 100 % sur l’école et quand j’aurai le temps de travailler, je m’y mettrai. » Mais choisir de se concentrer sur ses études est un privilège, et Kevin en est conscient : « Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui viennent et qui n’ont pratiquement pas les moyens. Ils se débrouillent au fur et à mesure. Ils ont de quoi payer une session, après ils sont obligés de travailler beaucoup d’heures pour pouvoir avoir de quoi payer leurs frais. » Tous se débrouillent selon leurs moyens, en économisant sur le loyer, les sorties ou bien la nourriture et en espérant réussir leurs examens. « C’est parfois beaucoup de stress », raconte Mehdi. Le coût de leurs études est finalement bien plus que financier.

Informations : Lucie Bédet Visualisation : Kamylia Gagné
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